mardi 20 décembre 2011

Sang amour

Tu le connais jusqu'à remarquer cette petite veine bleutée, palpitante, au coin de son oeil lorsqu'il voit une jolie fille, cette petite veinule qui saille entre les pattes d'oie bordant son regard rutilant d'admiration. Détail que tu as remarqué maintes fois lorsqu'il rencontrait d'autres filles, que tu as notifié pour la première fois, hier, quand il te parlait près des étagères. Après les malaises, après les tromperies, après les blessures. La petite veine qui palpite et le plaisir dans les yeux.

Mais ça ne veut plus rien dire.

jeudi 17 novembre 2011

Fille de novembre

« Quand c'est tout ce qu'on a, mal, c'est tout ce qu'on peut faire, je suppose...»
Dévadé - Réjean Ducharme

Novembre était tombé sur toi comme une sanction.

Il faut connaître mai et ses arbres en fleurs pour sentir tout le poids de novembre. Il faut avoir espéré jusqu’à cette douleur fugace au creux de l’aine pour savoir encore résister sous le ciel lourd de cendres. Il faut avoir partagé l’ivresse pour boire la coupe jusqu’à la lie, et c’est comme si une pluie terreuse déborde tout de même de tes lèvres, encore. Tu te sens coupable de mille morts, chacune sous forme d’images immobilisées au bout de tes cils. Un automne suspendu à la pointe de tes cheveux. 

Tu as d’abord cherché à comprendre. Il a dû y avoir une raison aux ambitions démesurées, aux promesses matinales, aux sourires ébouriffés, à l’écume au bout de tes ongles. Maintenant, tu te bornes à te novembrifier. Femme pétrifiée de novembre, femme perdue dans un outre-monde de plomb. 

Tu tisses ta prison avec la lenteur d’une machine à café. 

Tu déambules parfois le long de la rivière, ombre grise parmi la grisaille qui n’en finit plus de croître. Tu as toujours froid désormais ; aucune veste de laine ne sait réchauffer le grain de ta peau comme ces quelques chiffons, égarés par le temps, qui ne t’appartiennent d’ailleurs même pas. Ton orgueil s’y est crocheté, et tu l’as perdu du vue. L’orgueil ; le reste aussi au fond. Un billet doux tombé sur la Saint-Charles, un monde éteint entre tes paumes où la cire s’est figée.

Tu as toujours froid, maintenant. C’est une mauvaise habitude que tu as gagnée au profit d’un peu d’affection sur ton épaule, quand l’été devenait automne précoce. Mais tout ça est vain, tu le sais trop bien. Ton ombre continue sa route sur le pavé inégal, loin des rires de mai et des premiers émois de juin.

C’est novembre. Tu achètes des écharpes de couleurs pour colmater l’absence sur ta nuque. Le lainage gratte ton cou comme tes souvenirs, les franges lacèrent tes joues d’opale et tu te vautres dans un treillis multicolore de soie, de coton. 

Tu perds ta vie contre les dalles frigides, tu t’abandonnes sur le parvis des églises désertes en attendant que le jour écoule ses heures, une seconde à la fois. 

Tu glisses parfois une œillade timide à ton reflet dans la glace. Un visage de novembre, avec des cernes qui ont poussé sous tes yeux et un teint crayeux de lendemain de veille. Les vestiges d’une lueur cristallisée au fond de ton iris, la dernière de l’été. Puis les images se bousculent, et tu reprends la route pour éviter ce goût de bière noire au point de ta langue, la chaleur d’une paume sur ta joue offerte au vent.

Les images te poursuivent jusqu’aux tréfonds de ton sommeil. Alors tu veilles, avec du café très noir et des vieux albums de Dylan en boucle. Novembre s’étire dans les dernières lueurs du jour, s’endort contre ton plancher.

Tu déposes des pétales séchés sur le bord de ta fenêtre quand le soir tombe. Des morceaux de pensées bleues et mauves qui s’égrainent en tachant la cloison de flocons violet, qui te servent à la fois de calendrier et de collection vaine. Tu n’as jamais collectionné quoi que ce soit, des billets de concert, des tickets de métro, mais ça ne compte pas. Ce sont des souvenirs, des clichés ressuscités contre l’écran de tes paupières lorsque tu les soupèses entre les pans de ton porte-monnaie, dans les trajets de bus trop longs entre la Basse-Ville et l’Université.

Non, les pétales, c’est autre chose. Une lubie, une distraction, quelque chose à triturer quand tu attends que la nuit meure à la lueur de la fenêtre. Tu en poses une par jour, gentiment derrière sa précédente. Tu cherches un sens, un passe-temps, une preuve tangible que le temps passe, que la vie se dégrade lorsqu’on la laisse à elle-même et que novembre finira, comme toute chose, par mourir.

Tu bois ton café très noir et très corsé jusqu’à tard dans la nuit. Tu attends l’heure bleue, celle qui est si belle lorsqu’elle est partagée en fin d’été, celle qui te vrille encore le cœur de baisers morts à la base du cou, de caresses négligées sur tes cheveux salés. Tu attends l’heure bleue en te refusant au sommeil. Par esprit de représailles, peut-être, parce que tu n’as jamais su te refuser au bon moment de toute façon.

Mais l’heure bleue, elle n’existe pas en novembre : elle est grise et sale et froide, un ciel de plomb qui pèse comme un couvercle, une enclume au creux du ventre.

Il fait froid maintenant. Tes écharpes t’emmitouflent, car les draps blancs que tu possèdes sentent trop fort la trace d’un passé révolu. Tu dessines parfois des croix sur le givre de la fenêtre à défaut d’y tracer des cœurs et les initiales de tes fantômes. L’amour, tu dis, c’est pour les adolescents, pour les imbéciles heureux qui errent stupidement au soleil, pour ces branleux qui attendent toute leur vie et finissent par se caser avec n’importe qui pour la forme, parce qu’il faut bien s’acheter un bungalow et fonder une famille. L’amour, c’est l’excuse des terrorisés qui n’arrivent pas à confronter la viduité existentielle et qui cherchent, à tâtons, d’y donner sens.
Tu n’y crois pas, mais ça te soulage de le penser.

Tu écris des poèmes sur des cartes postales que tu envoies valser à la poubelle, une masse informe de carton froissé parmi les débris. Des fragments griffonnés au hasard qui parlent d’herbe synthétique sur des paupières, de jeux d’eau qui ressemblent à ta vie et de la paille qui se retrouve dans des yeux gris. Gris de plomb, comme de la poudre de novembre au bout de tes doigts.

La voix éraillée de Dylan te traîne jusqu’au lit, où tu finis tout de même par arracher quelques heures à la nuit. Novembre a raison de toi.
Et au matin, tu te tires quand même du sommeil pour vaquer à tes études avec le peu d’entrain qui te reste. Tu fardes tes cils de noir, d’épaisses couches de khôl qui obstruent les larmes et pallient à la fausseté de ton sourire. Ta mère te reproche de ne pas sourire assez, mais y a-t-il quelque chose dont ta mère ne t’a jamais reproché ? Lui aussi, un soir de mai, t’avait fait cette remarque… mais à quoi bon, maintenant ? Il faut feindre le jeu de la vie et attendre, cantonnée dans le quotidien qui roule quand même. 

Mais souviens-toi, fille de novembre, que les choses n’ont pas toujours été ainsi. Que le nom que tu attends jusqu’à l’aube sur ton téléphone jadis t’indifférait, parfois t’exaspérait. Que les visages se succèdent avec les mois, que novembre, ce n’est que trente jours à traîner dans la fange, et que la vie est ailleurs, en décembre, là où le renouveau est possible.

Rappelle-toi, fille de novembre, que même s’il n’y a plus de royaumes, que le temps te semble fermé et que les chemins s’effondrent sous tes pas, quelqu’un pense à toi. Toi qui n’es plus que le dernier trait de l’ombre de toi-même, toi qui carbures sur tes dernières réserves, toi qui grattes tes souvenirs jusqu’à en extraire les derniers sourires, tu n’es pas seule.

Le printemps existe, fille de novembre, à quelque part sous les feuilles séchées et recroquevillées au coin des rues. Le soleil blanc finira par descendre et devenir poussière de neige, et décembre lavera la cendre qui s’est déversée sur tes vingt ans.

Et la main de papier que tu froisses entre tes écharpes quand tu te traînes lourdement jusqu’à ta vie n’est peut-être plus qu’un chiffon, que tu balanceras de toute façon bientôt dans la Saint-Charles.

lundi 10 octobre 2011

Brûlerie

L’été s’attarde, et moi aussi. Je n’arrive pas à laisser tomber mes émois comme ces feuilles encore vertes qui pendouillent, paresseuses, au bout des arbres. L’été s’acharne, résiste aux temps froids d’octobre ; et il n’y a qu’un ciel bleu à perte de vue pour m’évoquer cette froideur que tu m’épargnes à peine.

Je ne te parle pas, mais je pense à toi. 

Saint-Roch s’active pour le retour. Des pas foulent le pavé vers le souper dominical, des échanges chaleureux à table autour des reliefs d’un repas d’automne drôlement anachronique en cet été des Indiens. Je fais semblant de lire un recueil de Brault en m’attardant dans ce café, comme si tu m’y rejoindrais, comme si tu étais en route en espérant ne pas me manquer. Mais il n’y a que les succès des Rolling Stones, Jacques Brault et le fond d’un café au lait refroidissant. Ma vie vide de sens près de la fenêtre.

Cet automne, mes fabulations lambinent comme cet été pourri. J’ai rarement aussi été idiote qu’avec toi. Nos jeux de rôles forcés et la conscience d’avoir tout gâché. L’inconstance, l’insistance ; un peu d’espoir cueilli sur tes joues que j’aimais effleurer de ma bouche dans l’obscurité bleutée.

Octobre est si chaud, mais toi si froid désormais… 

L’heure avance, le café est maintenant à demi vide de ses clients. Je sais pourtant que je devrais rentrer, glisser Jacques Brault dans mon sac, quitter la fenêtre et ce point de vue banal de la Bibliothèque, avec ses clochards et ses punks agglomérés aux escaliers. J’y reste quand même, peut-être pour la raison ridicule que ce café est un peu le nôtre, que cette fenêtre était celle que je contemplais pour chasser les larmes que tu provoquais malgré toi, et que cette odeur de café fraîchement moulue se retrouvera emmêlée aux effluves de cet automne indécis. 

Mon téléphone ne sonne jamais. Tu m’appelais souvent, avant. Oh, pas toujours, bien sûr, mais tu prenais de mes nouvelles, tu t’informais de mon opinion sur l’actualité, nous parlions de choses et d’autres pendant plus d’une heure. Tu m’invitais prendre une bière, manger une crème glacée, me promener sur la côte éloignée ; je refusais – tu devenais lourd, parfois, surtout quand j’attendais autre chose d’autres hommes… Un paradis perdu que nous avons incendié par quelques pulsions frustrées de jeunes adultes en quête d’eux-mêmes. L’ambition de l’alcool qui nous a monté à la tête, et des morceaux de pots cassés. 

Rien n’est plus pareil, et j’attends encore près de la fenêtre. J’ai du café à acheter, un souper à préparer, ce stupide recueil de Jacques Brault à terminer, et quelques forces à récupérer avant de te croiser à nouveau. Le sourire fardé d’une fierté blessée.

L’automne est indécis, mais toi aussi. Vous jouez à avoir peur, cherchez le vertige, hésitez à vous noyer. Je ne sais pas si tu souhaites l’été ou l’hiver, tu me repousses pour mieux toucher mon visage d’une caresse désolée, tu te refuses pour mieux me supplier de t’aimer encore, tu prends ma main pour réchauffer la tienne. Tu as peur, et j’ai peur de t’effrayer, de t’éloigner, de te perdre pour de bon. Tu as peur d’avoir mal et de me faire du mal, mais on ne sait faire mieux que nous blesser avec l’immobilité étouffante. Alors je reste ici, rivée à cette fenêtre où deux arabes me font de l’œil au loin, rivée à ton image qui m’apparaît maintenant si friable dans mes lubies bleutées.

J’attends, car je n’ai pas le droit de m’imposer, je n’ai pas le choix de te respecter, je n’ai pas envie d’aller ailleurs, aller plus loin, d’aller trop bien…

Et je sais pourtant que tout cela reste vain ; car les filles sont trop belles, tu désertes et moi je m’attache quand même.

mardi 4 octobre 2011

Octobre

Je m'ennuie de ces jours d'octobre où toi et moi nous voyions chaque semaine. Meubler un temps étiré au pied de l'escalier jaune. Ton rire charmé, tes mains nues, nos corps timides qui s'approchaient malgré la peur de se laisser aller au vertige, aux abymes immenses qui s'ouvraient sous nos pas. Nous riions, la vie puisait son sens dans ces moments arrachés à nos jours incompatibles.

Aujourd'hui, je suis passée te voir. Tes yeux, encore, ton sourire ; des rides plus profondes au coin des yeux et quelques lueurs argentées sur tes joues brunies par le soleil déclinant. La tension, le bonheur prémâché par nos mots enlacés. Tu es content que je prenne le temps de monter jusqu'à toi malgré l'absence et la vie qui coule ; le sentiment renaît à la commissure de ma bouche.

Je me rappelle de tout. Toi aussi, je crois.

Tu te glisses sous mes yeux et les sondes quand je mentionne d'autres hommes ; mais je ris encore, un rire du printemps de mes dix-neuf ans, et le monde disparaît l'espace de quelques minutes. Je grave ma vie contre la tienne entre ces quatre murs déglingués où suintent l'humidité et l'adultère.

Je n'oublierai pas Chopin.

dimanche 2 octobre 2011

L'heure bleue

La brique est froide sous mes doigts, l’obscurité fige le temps. Je retiens des mots en trop qui forment des aquarelles bleues et vertes, celles que nous ne regarderons plus jamais ensemble, celles que nous oublierons dans les multiples galeries de la vieille ville. Cette fuite arrachée au monde, le sol inégal qui virent les chevilles, une nuit chaude et consentie. Une cassure dans le fil des jours, le monde qui s’engouffre.

Septembre, les premiers gels et l’exiguïté des peaux. Une insomnie fiévreuse nous colmatait en silence. Des rires étouffés, la froideur du matin, le monde s’arrête sur nos deux corps en suspens. « C’est l’heure bleue », m’as-tu dit. Ma joue s’est nichée au creux de ton épaule, ton cœur battait contre mon oreille. La fragilité d’une première nuit partagée, le silence banlieusard entrecoupé de souffles unis. Les derniers moments de paix. Le vertige qui s’immobilisait.

Des projets à moitié esquissés dans le vide devinrent solides dans mon miroir. Un caprice, un aller-retour à la baie où tu me parlais de ton avenir, de tes idées, des oiseaux blancs. Tu avais posé ta tête sur mon épaule. Un flux de désir au creux de moi, l’anonymat des villages permettait l’impossible. J’aurais pu t’aimer, je crois.

Mais cette fuite s’agissait d’un empressement, d’une erreur. Le foudroiement qui gèle la tendresse, qui éveille l’effroi. L’officiel invoqué sans raison tue toujours la passion, aussi buissonnière soit-elle. Nous avions beau chercher l’émotion initiale, souhaiter faire revivre l’heure bleue, l’échec se profilait, nous fracassait. 

Le ciel gris, la pluie sur mes paupières. Ruissellement d’orages qui effacent la marque de ta bouche sur la mienne. Plus jamais de mains enlacées, plus d’odeur fraîche de lessive dans mon cou, d’heure bleue écoulée dans un lit trop petit. Seulement une poigne amicale contre mon épaule, un réconfort de circonstances qui feigne de panser l’œil vitreux, la moue crispée.

J’aurais voulu pleurer ; au lieu de quoi, je m’excusais de mon trouble. Je t’ai dit que je comprenais. Tu savais que c’était faux.

La brique est froide, le vent glacial. Mon écharpe pressée contre mon cou retient les mots que je ne te dirai jamais. Les souvenirs s’enroulent avec les franges, labourent mes joues et glissent contre tes doigts. J’ose à peine te regarder dans le mouvement bruyant et faux du monde. Je réintègre la viduité du sens de la vie, son arbitraire. Et l’automne reçoit mes esquisses d’histoire qui tombent comme la pluie dans les flaques d’eau. L’heure bleue s’y reflétera un jour pour d’autres.

Je n’ai plus que l’odeur de terre humide et de feuilles mortes.

dimanche 10 juillet 2011

Poème de Juillet

Tu m’as légué l’ombre d’un doute
            les jours creux qui tombent comme la pluie en été
                       l’impuissance des regrets, le fond de la bouteille.
           
L’air colle les peaux       filtre les mots
Ta silhouette s’imprègne dans le mouvement
           se grave contre ma paupière salée

Je tisse ma prison avec la lenteur d’une machine à café.

Toutes les joues se répètent contre ma paume ;
          seuls les yeux varient
Des yeux qui brûlent les peaux de novembre
            qui s’estompent sous les lilas de mai
            qui dictent l’ivresse des vertiges.

Mes larmes se sont figées dans la cire.

Tu m’as légué l’ivresse de l’hiver        l’odeur des feuilles qui craquent sous les pas.
            Et je les cherche encore à travers le vent chaud de juillet,
                        dans les volutes de fumée bleue
                        dans l’incertitude d’une nuit jaune

Je tends les doigts, me bute au néant
            Tout devient sable quand on se contente du reste.

Je joue avec des sourires froissés et des éclats de rire pour oublier le temps
            Et cette conscience que tu ne m’attendras plus à l’ultime bout de la nuit.

mercredi 29 juin 2011

Cueillir l'été

J'ai envie d'écrire. 

Capter par des mots habiles l'essence de l'été, l'odeur particulière du vent juste avant l'ondée. Le soleil couchant que filtrent les feuilles des arbres, une chevelure verte et luxuriante qui secoue ses pointes sous un ciel coloré. La caresse languide de la chaleur du midi contre une cuisse cuivrée, sur une main abandonnée au soleil dans un livre qu'on ne lit même plus.

J'ai envie de cueillir l'été et d'y mordre comme en un fruit juteux, goûteux. M'étendre au soleil et sentir l'herbe fraîche s'étaler autour de moi. Être bien, ne penser qu'à ça. Oublier les visages flous, les histoires esquissées puis froissées, l'ambition désoeuvrée. M'imprégner de la brise chaude, d'une chaleur qui étreint l'âme et le coeur en dorant légèrement les visages. Aimer l'été, une fois pour toute.

J'ai envie d'écrire les rencontres estivales. Les amis qu'on retrouve avec un plaisir accru par les vacances, leur sourire reposé et leur peau bronzée. L'amertume froide des quelques bières partagées dans le brouhaha chaleureux d'un petit bar, les rires qui fusent, les souvenirs évoqués et la fumée âcre des cigarettes qui nous protège d'un monde hostile, sur une terrasse échouée à quelque part entre deux commerces. L'espace de l'amitié, du désir avant de se replonger dans la solitude d'une maison endormie.

J'ai envie d'écrire l'angoisse d'un été qui ne se termine pas. La solitude d'une journée d'errance quand il fait si beau dehors, la douce mélancolie de ces chaudes nuits où je n'ai pour seule compagnie qu'une série d'images mentales, un peu fanées par le temps. Le goût capiteux du vin rouge, des pensées qu'on laisse voguer pour le seul désir d'oublier l'ennui.

J'ai envie de retrouver l'hiver, la morsure d'un vent frais sur des joues rougies par l'émoi. J'ai envie de retourner auprès d'un visage attentif, quitte à retourner chez moi les pieds mouillés de pluie et les mains vides de toi. Mais c'est l'été, et j'ai envie de la passer du bon côté.

J'ai envie d'être heureuse, de profiter des paillettes de soleil sur un bras étendu devant et du rire de ceux qui n'ont pour moi que quelques fragments d'amitié à me confier. J'ai envie de quelqu'un, mais je me contente du reste, un crayon à la main et les yeux fixés sur le mouvement des jours.

Et j'écris ces quelques phrases parce que j'ai de l'impuissance en excès qui a besoin de se matérialiser en mots sur un blog à l'abandon. J'ai envie, pour une fois, de cueillir l'été et de m'en griser, comme je sais que le retour à l'automne ne s'accompagne plus de ses promesses et de son sourire dans la pénombre d'un pavillon en ruines.

dimanche 29 mai 2011

Il reste dangereux d’être jeune, même à tes pieds.

« J’éprouve parfois l’impression que nous habitons une même pièce avec deux portes qui se font face ; chacun tient la poignée de la sienne ; à peine un cil bouge-t-il chez l’un, l’autre est déjà derrière sa porte ; que le premier ajoute un mot, l’autre a déjà certainement refermé sa porte, on ne le voit plus. Il rouvrira, car c'est une pièce qu'on ne peut peut-être pas abandonner. Si le premier n'était pas comme l'autre, il garderait son calme, il aimerait apparemment mieux ne pas regarder ce que fait le second, il ferait petit à petit régner l'ordre dans la pièce comme si c'était une chambre pareille à toutes les autres ; au lieu de quoi il travaille comme l'autre de sa porte, il arrive même que chacun soit derrière la sienne et que la belle pièce reste vide. »

Lettres à Milena, F. Kafka (p. 41-42)

mercredi 25 mai 2011

La beauté des choses laissées en suspens

Le café est mauvais, le temps aussi.

Je vis dans un néant perpétuel d'attente indécise, un peu floue. J'attends, et je ne sais même plus qui est-ce que je souhaite voir au bout du chemin.

J'ai délaissé mes carnets et je ploie sous un printemps maussade. Un printemps qui joue avec mes ambitions, les froisse, les taquine un peu. Rien de bien méchant, un délassement, l'espoir d'un peu chaleur dans tout ce gris trop pâle.

J'ai fardé mes yeux de noir et de poudre ivoire, j'entoure mes poignets de perles et je quitte le navire à demi, certaine d'y revenir, trop rêveuse pour en finir.

J'ai figé mes histoires, mes déboires l'espace de quelques mois. Le temps que les arbres fleurissent, que le vent hume l'orage et que les herbes soient dorées comme le ciel. J'ai figé mes histoires pour mieux y revenir, encore, à l'automne, quand tu auras quasiment oublié jusqu'à mon nom et que ton visage s'éclairera d'un sourire à ma rencontre. Imprévue, agréable. Ton sourire et tes yeux qui s'accrochent aux miens, ne veulent pas s'en défaire. Sous-entendus et non-dits qui demeurent, qui flottent, qui nous étourdissent ; mais dont nous ne parlons jamais, ni maintenant, ni plus tard.  

Après tout ce temps... je suis là. Sur le coin d'une porte, et tu me souris. Sourire conquis dans toute cette lumière chaude, trop chaude. Tes doigts sur la table. Les miens contre ma joue. Les instants fugitifs de l'attirance mal-appropriée.

Je jongle avec les possibilités, les envies de chair ou de solitude. Je ne règle rien, je laisse voguer ma vie, les ébauches de sourire que j'ai laissé flotter avec la neige. J'attends que mes jours me rattrapent au détour de septembre ou avant, si ils sont trop pressés de me revenir.

J'attends et contemple, derrière moi, la beauté des choses laissées en suspens.

dimanche 1 mai 2011

J'aime quand il me parle et qu'il est si proche que je peux détailler les ridules autour de ses yeux sans même qu'il n'ait à plisser son visage ou l'étirer.

dimanche 20 mars 2011

Abstraction dansée

Un texte écrit à partir d'un danse improvisée par une troupe, dans un cours de création littéraire.

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Il te suffisait de fermer les yeux pour que tout soit aboli entre nous. Le sourire, les secondes en trop ; le léger sursaut au creux du ventre, tes doigts frémissant contre ta joue ; le désir incongru. Un monde s’effondrait l’instant de clore tes paupières. Pour eux, pour la forme… Tu sais, pour cet imperceptible mouvement de sourcils que l’on appelle la morale.


C’était absurde, toi seul te leurrais, y croyais. ; et encore, ta foi était bien mince contre nos doigts qui, d’instinct, se cherchaient dans le noir.

Il nous était arrivé quelques fois de croire en notre ultime départ. De se croire capable de vivre l’un sans l’autre, dépourvu de l’angoisse du mouvement, de la fêlure, de l’irrémédiable faille entre nos corps transis.

Et pourtant…

Un cri déchirait l’ardeur, immobilisait nos ombres plaqués sur le mur. Le soupir hachuré d’une soirée qui nous sépare. L’angoisse de janvier, de la mi-mai qui nous ramène à la vie. Un inexplicable besoin d’air frais, s’éloigner et disparaître dans le rideau de neige ; puis il faut revenir, ranimer la braise de nos regards, ces lumières qui naissent et meurent par intermittence.

Et à nouveau, ces désirs s’agitent tout au bas de l’escalier jaune. L’ambition qui vole en fumée et ces doigts qui s’animent subrepticement pour ne pas se toucher, s’agripper, craquer sous la force de nos étreintes proscrites.

Tu replongeais les soirs d’automne où plus rien n’avait de sens que ces feuilles froissées s’amoncelant au pied de la porte. Un souvenir de ta vie pendait à ton doigt, cette vie que tu menais sans moi, et j’avais parfois envie de l’arracher, de le déchirer de mes dents polies.

Je souriais, la mâchoire crispée, à la place.

Il y avait toujours cette peur de l’Autre, du cri qui propulse les âmes au fond de l’abîme.

Qu’y avait-il ? Rien, en réalité ; et pourtant c’était tout. Un sourire si longtemps tenu qu’il en est demeuré figé ; un œil soudainement qui s’enflamme, s’irradie et se révèle totalement, trop pour tout le reste.

Longtemps – pour tout le temps où je croyais t’avoir perdu – je t’avais contemplé derrière une vitre. Un verre épais, à peine brouillé par les intempéries et le soleil de l’été. La vitre avait reçu mes coups, mes griffures, mes ongles qui lacéraient ton reflet ; mais la fenêtre ne bougeait à peine, comment pouvais-je espérer la briser ? Je ne pouvais plus que valser avec les fragments gigognes que tu m’avais laissés en effleurant à peine mes doigts de tes paumes rebutées.

Alors je dansais, en attendant les colchiques ou les lilas, ou les autres fleurs dont parlait Apollinaire, ou Aragon, peut-être, quand il écrivait pour Elsa. Je ne sais plus.

Tu as lu ces poètes ? Non ? Il faudra y remédier…

Tu avais souri, et tes yeux étaient tristes. Comme s’ils lisaient dans le fil du temps qui s’était, pour quelques mois, emmêlé.

Puis, ce fut le blanc. Tout blanc. Avec une petite tache rouge parfois pour dissoudre l’harmonie du néant. Et malgré toute cette pureté, je ne pouvais que me rappeler du mauve. Le mauve de la passion, le mauve de la violence et du deuil interminable. Le mauve des mûres sauvages que nous avions partagées, une nuit. Une nuit de trop, peut-être, où le bout des doigts tachait nos peaux de violet profond et que l’odeur puissante nous montait à la tête.

Étreintes rêvées

Et puis, un jour, au bout complet du rien, l'intérêt se lasse et meurt. Tout simplement.

Il a fallu un jeudi matin de mars à discuter Culture et désintérêt des « masses » pour la musique classique avec B. pour comprendre que, vraiment, cet Autre homme me laisse de plus en plus de marbre.

Certes, je le trouve très beau et j'aurai probablement toujours une très forte attirance pour lui. Parce que, vraiment, son visage et son sourire sont divins !
Mais, force est de constater que je perds mon temps.
Et tant qu'à perdre mon temps, je préfère vingt fois plus un homme aux yeux éloquents et au sourire timide à qui je plais, avec qui tout serait parfait si ce n'était des circonstances contraignantes.

Parce que je n'ai jamais rencontré personne, fille ou garçon, qui était autant sur la « même longeur d'ondes » que moi, pour ainsi dire.
Parce qu'on a une attirance l'un pour l'autre, une attirance évidente je crois.
Parce qu'il m'apprécie beaucoup, trop peut-être, et moi, je m'attache.

Alors je lève les voiles de l'océan S, et reviens vers B., qui tisse sa toile en sifflotant quelque symphonie de Mahler. Grandiose et désintéressé.

Et même s'il a remis le sceau de l'impossibilité sur sa main gauche, je reviens, ferraille attirée par l'aimant (l'amant) qu'il est, au fond.

dimanche 6 mars 2011

« J’ai toujours su que je ne serai la femme de personne, même si parfois j’oublie. »

« Peut-être était-ce à cause du printemps qui se profilait dans la succession des jours, mais jamais je n'avais vu autant de tension sexuelle se déployer en une soirée. La musique était discutable, la bière un peu fade et il fallait crier pour s'entendre ; mais dans tout ce brouhaha effervescent, des îlots d'intimité poussaient puis fleurissaient doucement, comme des chardons sur le fumier. »

J'ai de la difficulté à m'expliquer ce qui se passe dans ma vie.
J'ai besoin de me recentrer, je pense, comme je disais à l'Autre qui me demandait s'il y avait un gars du programme qui m'intéressait. (J'étais quand même pas pour lui dire : « oui, toi ! »)

J'ai coulé un examen parce que j'ai exacerbé ma vie sociale pour un gars qui s'est finalement fait une copine. Un gars dont l'apparence physique se modèle à mes goûts, mais qui n'est pas trop mon genre dans ses réflexions et dans ses intérêts. Un gars sur qui mes légères déformations sur la nature de mes relations avec B ont fait un effet assez notoire. Un gars qui accepte encore chacune de mes invitations et qui ne me donne toujours pas de bonnes raisons pour que je l'oublie définitivement.
Hormis le fait qu'il soit nouvellement en couple. Genre.
Arf.

Et je continue quand même d'espérer que cette relation ne dure pas. Parce que la copine en question me semble très différente de lui, froide et distante aussi ; pas du tout amoureuse, bref. Parce que j'ai un sixième sens pour détecter les couples qui ne dureront pas. Parce que ce gars-là a un sourire qui me fait fondre et un rire tellement particulier que j'ai seulement envie de rire avec lui lorsqu'il rit. Parce que plus je lui parle, plus je sens qu'il m'apprécie et m'estime. Parce qu'il n'y a pas de raison, mais ce gars-là m'attire follement. Parce qu'il me permet de mieux vivre la séparation obligée avec B.

Je pense.

samedi 26 février 2011

Chorégraphie silencieuse

Tu étais un oiseau, je t’attendais pour le printemps. Comme un enfant à la tombée de l’école, je guettais les variations rougeâtres du ciel et les aiguilles menues des horloges. L’impatience qui rageait, qui gagnait du terrain sur mon attention déjà défaillante. Ces images en mouvement, ces postures décortiquées par le temps, l’odeur piquante du soir sur mon écharpe jaune ; mes idées tambourinaient, virevoltaient, s’égaraient au rythme d’une musique inexistante.

Je n’avais rien pour patienter. Triturer mes manches, mes bagues pour ne pas m’agripper au vide. Compter les feuilles qui naissaient sur les branches des arbres d’un jour à l’autre. Lire distraitement les grands titres des journaux, m’en indigner, m’en désintéresser.

Je n’avais rien, qu’un morceau de bonheur arraché au fil du temps un soir de semaine. Une chorégraphie dans la grisaille. Un abandon. Une heure, deux parfois ; un tournoiement d’étoffes et de lumières qui s’éteignaient. Tu me retenais de temps à autres après la valse ; l’éclat d’une parole, un souffle émis à l’unisson nous liaient pour un moment. La vie m’échappait, tout n’était plus que chaleur, et électricité, une synergie des ombres contre un mur gris. La vie gisait sur le sol, elle la jonchait de peccadilles et de mots d’occasion ; et l’essence du monde semblait se dévoiler par nos mouvements, naître sous nos pas.

Il m’arrivait de vouloir fuir. M’extraire dans le vide le plus blanc, le plus pur ; me dissoudre dans le néant. C’était ton odeur qui me ramenait à tes gestes, à ton espace à demi-cloîtré, une seule fenêtre pour échapper au ronron et au statisme. Ton odeur, et cette lumière de mai, la terre réchauffée sous un soleil nouveau.

Tout n’était plus que danse. Une chaleur qui empoignait nos jours. Des gants qui s’échangeaient une vie de souvenirs avant d’être balancés au placard.

Puis l’été est arrivé, la pluie torrentielle, la chaleur étouffante. Une migration des âmes nous entraîna dans sa chute.

La danse se termine, les partenaires se séparent. Une salle vidée pour unique témoin.

vendredi 18 février 2011

Déception

J'ai laissé derrière moi brûler le verger de mûriers en tournoyant vers l'ailleurs. 
Le café, la bière, un peu trop de vin rouge comme satisfaction quotidienne. 
Et les mûres brûlaient, elles embaumaient leur puissant parfum sauvage auquel j'échappais.
Deux ou trois pas vers la danse, une joue tiède contre une autre.
L'espoir de la possibilité, de quelques grains de soleil entre mes doigts. 

Je me suis retournée trop tard. Les mûres étaient devenues cendres, mes mains soupesaient le vide. Plus de café, de bière, de vin rouge. Que du silence, et cette phrase embuée de février que j'ai fait semblant d'ignorer, mais qui martelait mon insomnie.

Je trinque à l'absence, au désarroi ; à tous ces couples de février qui se fracassent, qui se désespèrent. À ces couples qui se forment, aussi, et qui n'ont droit qu'à mes plus vils désirs. 

Je te souhaite l'échec, l'irrémédiable faux-pas qui sépare les profils amoureux. Je te souhaite le précaire, l'instable, l'erreur. 
Et, peut-être, le regret de cette soirée animée où tu as tout gâché en nous quittant pour une autre. 

Les mûres brûlent encore, leur odeur me prend encore à la gorge et tire ces larmes sucrées ; est-il trop tard pour les sauver, elles et ces jours d'automne ? 
Car il ne me reste que la pluie, la géométrie du silence et les lèvres sèches. 
L'amère saveur du thé froid, l'estomac crispé et les doigts gourds.

samedi 12 février 2011

Constats émotifs.

On s'imagine le reflet doré d'un soleil qui décline. L'ivresse d'un parfum qui flotte doucement. Le feu d'un regard qui ne nous quitte pas. Ou qui se retourne par deux fois dans une foule mouvante et bruyante un soir où la suite se cristallise. B. au concert, notamment.

J'ai toujours eu l'habitude de m'attendre à la grandeur, la grandiloquence ; que l'on sorte les violons et les trompettes pour les aléas de mon existence. Que les changements s'accompagnent de grandes émotions, de troubles profonds et exubérents. J'aime la tragédie, les vicissitudes - ainsi, il m'est difficile d'accepter que l'intérêt d'autrui puisse n'être qu'une inclination, qu'une faiblesse minimaliste suscitée par un éclairage diffus et un sourire plus rutilant qu'à l'habitude.

Avec B., ce fut une illumination. Un moment partagé, hermétique au monde, où n'existaient plus que nos mots et nos yeux qui parlaient. La certitude impulsive qu'une énergie nous liait, nous drainait l'un à l'autre ; que nous nous plaisions, autant par notre physique que notre conversation ; qu'il se tramait quelque chose d'irréductible, d'intraduisible en dépit des circonstances plus que contraignantes à l'immobilité. Mais c'était une immobilité dans la certitude, dans la fébrilité ; nous savions, et restions loin par peur de la vie, par impossibilité, par manque d'envie de tout briser.

Et deux ans plus tard, encore, il s'arrête près de moi quand on se croise par un hasard un peu forcé. Le même regard, la même contemplation mutuelle, les mêmes réflexes réfrénés de s'avancer et de toucher l'autre. Le même enthousiasme à me souhaiter un joyeux anniversaire, le mouvement presque assumé vers moi puis retenu. Les yeux et le sourire qui confirment son plaisir à me rencontrer. L'estime qu'il me porte et le bonheur qu'il me donne.

Mais je m'étonne tout de même d'une caresse discrète, cachée et éphémère sur mon avant-bras en faisant la bise à un autre homme, le lendemain soir. Une belle main ferme, grande contre la peau de mon avant-bras dénudé de ma veste.

Contact furtif, secret, qui ne veut peut-être rien dire au fond - mais qui me mystifie tout de même.

dimanche 30 janvier 2011

Thé vert au lit

J'ai quelques traumatismes d'adolescence qui refont surface lorsqu'il est question des relations interpersonnelles. L'écume de ma vie - de mes jours pour copier Vian. 
Des traumatismes qui me sont restés entre les doigts et dont je ne peux me débarrasser. 
Les stigmates de mon sourire et de mes joues rougies. 

Et je perds de précieux moments de jeunesse à supputer mes angoisses, à molester ma personne. 

J'ai peur de la fuite, de la lâcheté. 
J'ai peur que l'on me déteste pour m'intéresser, pour être séduite.
J'ai peur du refus ; encore plus du refus inavoué, non-assumé. De cette tendance qu'ont les hommes à se désister, à escamoter les décisions, les discussions.
J'ai peur du vide imposé, inévitable ; d'une éternité passée seule dans la poussière des livres et l'amertume du vin rouge.

B. qui s'estompe légèrement dans les aléas de la vie. Son visage bronzé, un peu triste aussi ; sa main toujours nue, et le bonheur qui fait revivre ses traits lorsqu'il me voit dans un couloir, dans une salle de spectacle qui se vide. 

Mais B. n'est pas souvent là, et je demeure nichée dans ce petit canapé trop mou à guetter un visage trop beau, trop souriant, trop inaccessible. 
Un passage épisodique qui vient boire du café trop fort et arborer son visage embelli par l'hiver. Les joues rouges, les yeux brillants, le sourire poli. Et ma timidité paralyse ma langue, mes propos. 
Et je reste un peu en biais, avec ma peur et mes mots en trop, à m'ennuyer de B. et à regarder cet autre homme possiblement s'intéresser à d'autres. 

jeudi 20 janvier 2011

Le bar des suicidés.

Dire au visage qui s'esquisse dans le miroir qu'il faut passer à autre chose.
Fuir l'absence dans une foule où il n'est pas. 

Rencontrer quelqu'un d'intéressant. Craindre, hésiter, se borner aux réticences. 
Se lancer une seconde trop tard. 

Tomber. Se relever. 
Respirer. 

Sans larmes. Sans sanglots. 
L'amer au bout de la langue et les poings crispés.
Puis, sauter à nouveau parce que la déception est incertaine. Le regard biaisé. La chair irritée.

Je m'ennuie de l'indécence des mains et des yeux, surtout, de B. 

samedi 15 janvier 2011

Misia au piano

Premier travail pour mon cours de Création de cette session d'hiver. Écrire sur les couleurs, écrire sur l'art : je m'inspire donc de la toile qui sert d'accueil à mon blog, Misia Natanson de Toulouse-Lautrec, et vous partage ce texte qui m'a occupée pendant cette morne soirée de travail à l'hôtel. 

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Les doigts de Misia dansaient sur le piano avec fluidité, et la musique se glissait jusqu’à nous. Harmoniques et mélodies qui nous hypnotisaient et qui tenaient notre petite société réunie dans un mutisme déférent. Les bouquets de note qui naissaient sous ses doigts, les longues phalanges pâles et graciles qui détonnaient à peine sur la couleur des touches. Le blanc crémeux d’une chair de petite fille, la pigmentation d’une rose comme celle qu’elle portait aux cheveux. Et sur le teint lacté, une bouche rouge comme une cerise offerte à mon regard, un élixir d’amour dont je m’étais grisé, une nuit et que je redemandais encore. 

Misia jouait, ses yeux foncés balayaient la partition avec la vitesse d’une caresse interdite, celle qui nous avait d’abord réunis. Un vert sombre, profond, le vert des nuits de Cannes subrepticement passées à discuter philosophie et Impressionnisme. Elle était toute jeune, alors, dix-huit ans, dix-neuf peut-être. Cette longue chevelure châtaine qu’elle ne dénouait que dans l’intimité et qu’elle avait héritée de sa défunte mère, j’en humais encore le parfum musqué, les relents de jasmin et d’épices qui m’avait poussé à ne pas la reconduire sagement à sa chambre, ce soir-là. Aujourd’hui, relevés en chignon, ils m’apparaissaient presque roux dans l’éclat du salon qu’elle habitait désormais avec son mari. Sa nuque délicieuse comme offrande à la lumière, à mon regard indécent ; la musique qu’elle nous offrait berçait mes rêveries et je m’imaginais poser un baiser sur la peau tiède, juste au-dessus des perles qu’elle portait, qui rappelaient la teinte de ses joues. Rose pâle, l’éclat fugitif d’une nova dans un ciel de janvier. 

Son mari la contemplait avec une satisfaction orgueilleuse, comme une œuvre d’art dont il connaissait la valeur, comme la cause de son succès politique et de ses quelques millions. La lippe gourmande et les doigts gras qui froisseraient la rose dans ses cheveux, qui déchireraient l’organdi couleur d’orchidée violacée, une fois les invités sortis. Misia était une fleur, sa peau blanche de lys, sa bouche en bouton de rose, ses cheveux qui sentaient le jasmin ; et son mari la froissait, la fanait. 

Je m’attardai au papier peint des murs pour chasser ces pensées outrageantes. Des arabesques d’un bleu de nuit et d’un rose ballet s’enchevêtraient au turquoise de la trame en une danse envoûtante, lascive malgré la froideur du fond. Une tapisserie que le couple avait dû acheter chez les tenants de l’Art nouveau, d’un prix possiblement trop élevé pour son goût selon moi douteux. 

Je me rappelais de son rire qui éclatait dans le bleu sombre du ciel, de ses joues rouges d’avoir bu trop de vin. Elle portait une robe légère, bleu d’Antibes, et elle avait laissé ses gants à l’hôtel. J’avais feint savoir lire dans les lignes de la main seulement pour sentir sa paume chaude contre la mienne, et elle exulta d’une joie vaniteuse quand je lui dis qu’elle deviendrait un jour la reine du Tout-Paris. Les lueurs dorées et les battements de ses cils fauves étaient ce soir-là tout mon bonheur. 

Nous avions fumé des cigarettes piquantes, et elle avait toussé plusieurs fois avant d’en apprécier pleinement les arômes. La fumée bleue nous cachait, deux silhouettes de plus en plus proches dans la pâleur presque scandinave du brouillard des cigarettes. Sa main nue, sa taille tendre dangereusement trop près de moi. Une Vénus de Chypre appuyée contre les garde-fous qui ne savaient plus garder notre folie. 

« Ne le dîtes surtout pas à mon père ! » 

J’avais souri, lui avais à nouveau tendu mon porte-cigarettes. Son air victorieux et la luminosité de son regard corroboraient mes prédictions improvisées : cette femme régnerait un jour sur le gratin social et culturel de Paris. 

Le silence soudain m’extirpa de mes souvenirs. Elle venait de terminer une valse de Chopin et s’attaqua aussitôt à quelques mazurkas. Elle avait gardé toute sa jeunesse, la pâleur de ses mains, la teinte rose boléro de ses lèvres. Quelques années plus tard, Ravel s’inspirerait de la moue capricieuse pour son Boléro, sa chaleur, son intensité sensuelle mais interdite. Lorsqu’elle parlait, c’était tout l’érotisme de l’Espagne qui naissait sur ses lèvres, l’effervescence d’une nuit chaude volée au temps, la fraîcheur d’une orange consommée sous le porche de l’hôtel. Je l’aimais, je pense. 

Son mari et les quelques intimes qu’elle avait invités pour ce récital ignoraient probablement tout de cette nuit-là, des parfums de sa peau qui demeuraient sur mes doigts au lendemain, de la chaleur de son haleine contre ma bouche, de cette fleur que j’avais, pour la première fois, cueilli dans des draps de soie blanche. Ses doigts de pianiste étaient si maladroits sur les corps que, pris d’un éclair de lucidité, je la ramenai presque à son père ; mais ses cheveux couleur terre de Sienne qui tombait sur ses seins m’en dissuadèrent et je me noyai dans leur force, dans leur bain d’épices. 

On applaudissait. Elle se leva, salua en un léger bruissement de sauge et de soie. Son mari lui tendait la main, et j’eus le temps de capter une dernière fois le vert nocturne de son regard avant de la perdre à ses convives. 

Je n’avais plus rien à faire chez les Natanson, et sortis dans le janvier désert d’un Paris hostile à mes vieux jours.

lundi 3 janvier 2011

Plus ça change, on dirait, plus ça se ressemble.

Première entrée de 2011 ! 
L'air de rien, ce petit blog a eu un an la semaine dernière, et je me surprends de ma constance, de ma fidélité. Les lecteurs sont rares, mais les idées reviennent, et mes doigts se plient sous le joug du trop-plein de mots qui déborde autrement. 
Un blog exutoire, peut-être, mais c'est aussi un blog où j'exerce ma plume, ma pensée, ma poésie ; un blog que j'affectionne et que je suis heureuse de mettre à jour. 

Donc, 2011.
Réveil brutal au lendemain de la beauté, de la grâce. Espoir qui nous file entre les doigts de poursuivre des échanges emplis de sous-entendus. Je m'agrippe à tes yeux dans la foule et considère ton sourire comme un oui, comme ton accord pour continuer.

J'épargne mes résolutions, elles ne seront probablement pas bien solides de toute façon.
Je ne parle pas de B., on verra bien où les choses iront avec lui en cette nouvelle année. Seule petite chose : je ne le laisserai pas glisser entre mes doigts, dans la mesure de ce qui m'est possible de faire.
Si l'autre croupit dans son mariage qui bat de l'aile, je ne lui donne que mes yeux et je cherche ailleurs. Ou j'essaierai.
J'espère un nouveau visage, une nouvelle main à triturer, une nouvelle compagnie à mes côtés. Une silhouette qui m'accompagne dans une foule culturelle et pour qui les yeux de B. sursautent.

Et je veux surtout conserver les gens avec qui je suis en contact. Parce que j'ai trop perdu d'amis et de connaissances à cause de mon insouciance juvénile.

Je ne sais pas si 2011 sera bonne ou non. Je tends l'autre joue et demeure immobile, dans l'attente.