samedi 26 février 2011

Chorégraphie silencieuse

Tu étais un oiseau, je t’attendais pour le printemps. Comme un enfant à la tombée de l’école, je guettais les variations rougeâtres du ciel et les aiguilles menues des horloges. L’impatience qui rageait, qui gagnait du terrain sur mon attention déjà défaillante. Ces images en mouvement, ces postures décortiquées par le temps, l’odeur piquante du soir sur mon écharpe jaune ; mes idées tambourinaient, virevoltaient, s’égaraient au rythme d’une musique inexistante.

Je n’avais rien pour patienter. Triturer mes manches, mes bagues pour ne pas m’agripper au vide. Compter les feuilles qui naissaient sur les branches des arbres d’un jour à l’autre. Lire distraitement les grands titres des journaux, m’en indigner, m’en désintéresser.

Je n’avais rien, qu’un morceau de bonheur arraché au fil du temps un soir de semaine. Une chorégraphie dans la grisaille. Un abandon. Une heure, deux parfois ; un tournoiement d’étoffes et de lumières qui s’éteignaient. Tu me retenais de temps à autres après la valse ; l’éclat d’une parole, un souffle émis à l’unisson nous liaient pour un moment. La vie m’échappait, tout n’était plus que chaleur, et électricité, une synergie des ombres contre un mur gris. La vie gisait sur le sol, elle la jonchait de peccadilles et de mots d’occasion ; et l’essence du monde semblait se dévoiler par nos mouvements, naître sous nos pas.

Il m’arrivait de vouloir fuir. M’extraire dans le vide le plus blanc, le plus pur ; me dissoudre dans le néant. C’était ton odeur qui me ramenait à tes gestes, à ton espace à demi-cloîtré, une seule fenêtre pour échapper au ronron et au statisme. Ton odeur, et cette lumière de mai, la terre réchauffée sous un soleil nouveau.

Tout n’était plus que danse. Une chaleur qui empoignait nos jours. Des gants qui s’échangeaient une vie de souvenirs avant d’être balancés au placard.

Puis l’été est arrivé, la pluie torrentielle, la chaleur étouffante. Une migration des âmes nous entraîna dans sa chute.

La danse se termine, les partenaires se séparent. Une salle vidée pour unique témoin.

vendredi 18 février 2011

Déception

J'ai laissé derrière moi brûler le verger de mûriers en tournoyant vers l'ailleurs. 
Le café, la bière, un peu trop de vin rouge comme satisfaction quotidienne. 
Et les mûres brûlaient, elles embaumaient leur puissant parfum sauvage auquel j'échappais.
Deux ou trois pas vers la danse, une joue tiède contre une autre.
L'espoir de la possibilité, de quelques grains de soleil entre mes doigts. 

Je me suis retournée trop tard. Les mûres étaient devenues cendres, mes mains soupesaient le vide. Plus de café, de bière, de vin rouge. Que du silence, et cette phrase embuée de février que j'ai fait semblant d'ignorer, mais qui martelait mon insomnie.

Je trinque à l'absence, au désarroi ; à tous ces couples de février qui se fracassent, qui se désespèrent. À ces couples qui se forment, aussi, et qui n'ont droit qu'à mes plus vils désirs. 

Je te souhaite l'échec, l'irrémédiable faux-pas qui sépare les profils amoureux. Je te souhaite le précaire, l'instable, l'erreur. 
Et, peut-être, le regret de cette soirée animée où tu as tout gâché en nous quittant pour une autre. 

Les mûres brûlent encore, leur odeur me prend encore à la gorge et tire ces larmes sucrées ; est-il trop tard pour les sauver, elles et ces jours d'automne ? 
Car il ne me reste que la pluie, la géométrie du silence et les lèvres sèches. 
L'amère saveur du thé froid, l'estomac crispé et les doigts gourds.

samedi 12 février 2011

Constats émotifs.

On s'imagine le reflet doré d'un soleil qui décline. L'ivresse d'un parfum qui flotte doucement. Le feu d'un regard qui ne nous quitte pas. Ou qui se retourne par deux fois dans une foule mouvante et bruyante un soir où la suite se cristallise. B. au concert, notamment.

J'ai toujours eu l'habitude de m'attendre à la grandeur, la grandiloquence ; que l'on sorte les violons et les trompettes pour les aléas de mon existence. Que les changements s'accompagnent de grandes émotions, de troubles profonds et exubérents. J'aime la tragédie, les vicissitudes - ainsi, il m'est difficile d'accepter que l'intérêt d'autrui puisse n'être qu'une inclination, qu'une faiblesse minimaliste suscitée par un éclairage diffus et un sourire plus rutilant qu'à l'habitude.

Avec B., ce fut une illumination. Un moment partagé, hermétique au monde, où n'existaient plus que nos mots et nos yeux qui parlaient. La certitude impulsive qu'une énergie nous liait, nous drainait l'un à l'autre ; que nous nous plaisions, autant par notre physique que notre conversation ; qu'il se tramait quelque chose d'irréductible, d'intraduisible en dépit des circonstances plus que contraignantes à l'immobilité. Mais c'était une immobilité dans la certitude, dans la fébrilité ; nous savions, et restions loin par peur de la vie, par impossibilité, par manque d'envie de tout briser.

Et deux ans plus tard, encore, il s'arrête près de moi quand on se croise par un hasard un peu forcé. Le même regard, la même contemplation mutuelle, les mêmes réflexes réfrénés de s'avancer et de toucher l'autre. Le même enthousiasme à me souhaiter un joyeux anniversaire, le mouvement presque assumé vers moi puis retenu. Les yeux et le sourire qui confirment son plaisir à me rencontrer. L'estime qu'il me porte et le bonheur qu'il me donne.

Mais je m'étonne tout de même d'une caresse discrète, cachée et éphémère sur mon avant-bras en faisant la bise à un autre homme, le lendemain soir. Une belle main ferme, grande contre la peau de mon avant-bras dénudé de ma veste.

Contact furtif, secret, qui ne veut peut-être rien dire au fond - mais qui me mystifie tout de même.