dimanche 2 octobre 2011

L'heure bleue

La brique est froide sous mes doigts, l’obscurité fige le temps. Je retiens des mots en trop qui forment des aquarelles bleues et vertes, celles que nous ne regarderons plus jamais ensemble, celles que nous oublierons dans les multiples galeries de la vieille ville. Cette fuite arrachée au monde, le sol inégal qui virent les chevilles, une nuit chaude et consentie. Une cassure dans le fil des jours, le monde qui s’engouffre.

Septembre, les premiers gels et l’exiguïté des peaux. Une insomnie fiévreuse nous colmatait en silence. Des rires étouffés, la froideur du matin, le monde s’arrête sur nos deux corps en suspens. « C’est l’heure bleue », m’as-tu dit. Ma joue s’est nichée au creux de ton épaule, ton cœur battait contre mon oreille. La fragilité d’une première nuit partagée, le silence banlieusard entrecoupé de souffles unis. Les derniers moments de paix. Le vertige qui s’immobilisait.

Des projets à moitié esquissés dans le vide devinrent solides dans mon miroir. Un caprice, un aller-retour à la baie où tu me parlais de ton avenir, de tes idées, des oiseaux blancs. Tu avais posé ta tête sur mon épaule. Un flux de désir au creux de moi, l’anonymat des villages permettait l’impossible. J’aurais pu t’aimer, je crois.

Mais cette fuite s’agissait d’un empressement, d’une erreur. Le foudroiement qui gèle la tendresse, qui éveille l’effroi. L’officiel invoqué sans raison tue toujours la passion, aussi buissonnière soit-elle. Nous avions beau chercher l’émotion initiale, souhaiter faire revivre l’heure bleue, l’échec se profilait, nous fracassait. 

Le ciel gris, la pluie sur mes paupières. Ruissellement d’orages qui effacent la marque de ta bouche sur la mienne. Plus jamais de mains enlacées, plus d’odeur fraîche de lessive dans mon cou, d’heure bleue écoulée dans un lit trop petit. Seulement une poigne amicale contre mon épaule, un réconfort de circonstances qui feigne de panser l’œil vitreux, la moue crispée.

J’aurais voulu pleurer ; au lieu de quoi, je m’excusais de mon trouble. Je t’ai dit que je comprenais. Tu savais que c’était faux.

La brique est froide, le vent glacial. Mon écharpe pressée contre mon cou retient les mots que je ne te dirai jamais. Les souvenirs s’enroulent avec les franges, labourent mes joues et glissent contre tes doigts. J’ose à peine te regarder dans le mouvement bruyant et faux du monde. Je réintègre la viduité du sens de la vie, son arbitraire. Et l’automne reçoit mes esquisses d’histoire qui tombent comme la pluie dans les flaques d’eau. L’heure bleue s’y reflétera un jour pour d’autres.

Je n’ai plus que l’odeur de terre humide et de feuilles mortes.

1 commentaire:

Justine a dit…

Ça fait tellement longtemps que j'attendais tes mots, belle fée. Comment arrives-tu à toucher autant avec des lettres alignées, qui parraissent pourtant inoffensives, mais qui font tant de bien? Tu me manques beaucoup.

:)