mercredi 9 janvier 2013

Cette lettre que je ne t'enverrai jamais

Salut,

Je t’écris comme si j’allais ne jamais t’envoyer cette lettre. Parce que, de toute façon, c’est ce que je vais faire. Ne rien t’envoyer, ne rien te dire, ne plus rien essayer. Laisser ça mort. Comme j’ai voulu faire depuis le début. Comme j’ai essayé de faire depuis le début. Me taire, par orgueil. Et parce que, au fond, toi aussi tu te tais. Tu t’es toujours tu. Même les premières fois, sûrement, quand on buvait ensemble jusqu’à ce que les rires effacent le reste et brouillent mes souvenirs. Les rires qui restaient, parce que c’est tellement plus facile, et agréable, de déconner ensemble. Et moi je complique tout avec mes mots en trop, mes mots sérieux, trop lourds, qui enlèvent le goût de rire et de boire des pichets jusqu’à pas d’heure. Les mots justes, au mauvais moment, mais qui font fuir. Et maintenant que les rires sont définitivement morts, et que l’amertume demeure malgré l’hiver, je n’ai plus le choix d’y aller avec la parole. De forcer la parole, pour extraire le morceau. Le vomir. Cracher le méchant. Nous dire les vraies choses, ce qui s’est réellement passé, ce que tu as réellement pensé. Confronter le passé, pour mieux l’évacuer. Parce que je suis restée scotchée chez toi une nuit trop chaude de juillet où j’ai encore trop parlé, et j’ai envie d’en sortir. Suivre le cours du temps normal, moi aussi. Sentir l’hiver et le froid sur mes joues, boire pour le plaisir et non pour oublier la culpabilité, dissiper les relents de cynisme qui teintent chacun des regards que je porte sur les choses.

Parler, c’est pas trop ton truc, je sais. C’est pour ça que je n’insiste plus. Que je me tais, depuis cinq ou six mois. Avec quelques égarements, des tentatives pour rendre les choses moins lourdes entre nous, mais rien de plus. De la bonne conscience, que j’essayais d’avaler, sans me compromettre. Mais la tristesse reste ; elle est encore là, comme un morceau qui ne veut pas passer et qui vient à bloquer la respiration. La langue bridée, le sourire de convenances. Je résistais, je raisonnais. Toute seule à serrer les poings. À m’amuser avec les autres. À t’ignorer aussi, pour me sentir un peu plus forte, un peu plus en contrôle. À faire comme si ton silence m’importunait seulement par sa lourdeur. C’est tellement lourd, le silence…

Mais arrive un temps où il faut se rendre à l’évidence. Où il faut parler. Et voilà, je me rends, je n’en peux plus, je n’y arrive plus. J’ai l’insomnie qui égraine toutes les combinaisons possibles qui nous ont menés là où nous en sommes, j’analyse les raisons potentielles qui te rivent là où je ne suis pas, et j’ai besoin des explications que ma faible connaissance de toi ne possède pas. Ce malaise que tu ressens visiblement en ma présence m’est insupportable, et je ne sais plus par où passer pour l’atténuer. Je n’en peux plus.

Il me faut comprendre. Pour cela, il faut que tu m’expliques véritablement ce qui en est. Ce qui en a été.

Pour moi, tout a été dit, l’important du moins. L’honnêteté au prix de la délicatesse, peut-être, mais il m’apparaissait primordial de te dire que les chemins étaient pour moi bloqués. Que je n’arriverais pas à m’investir totalement quand j’avais le nom de l’autre au bout des lèvres à chaque moment, toujours sur le point de l’évoquer. J’étais égoïste, j’en conviens, j’ai pris cette attention que tu me donnais pour me reconstruire un semblant de moi-même, j’ai cherché ma vengeance personnelle dans le désordre de tes draps, je souhaitais qu’il apprenne notre idylle chaque fois que tu me ramenais dans tes bras, en cuillère, et que tu jouais lentement avec chacun de mes doigts. Et quand les premiers émois ont timidement vu le jour, derrière une façade badine qui goûtait la bière noire et sentait l’eau de la Saint-Charles, il était trop tard. Tu n’étais plus là. Refermé à jamais dans un silence meurtrier. Les yeux éteints.

J’ai crû bien faire sur le moment ; le recul et ton attitude m’ont fait comprendre le contraire. Ton attitude fermée, fâchée, blessée. Une rancune silencieuse que je ne comprends qu’à la lumière d’informations glanées ça et là, d’ailleurs un peu contradictoires selon les versions. Un silence oppressant que je voudrais confronter, que je voudrais déchirer jusqu’à ce que tu me laisses entendre les raisons réelles de ton tourment.

Tu m’as permis de rebounder, je devrais t’en être reconnaissante. Au lieu de quoi, j’ai l’angoisse au bout des doigts et toute la misère du monde à t’oublier.

Parce que je pense encore terriblement à ce qui s’est passé. J’y pense comme je n’aurais jamais crû un jour y penser. Je regrette mes gestes, ma distance, mes hésitations de fille perdue. Ton humour, ta présence, la douceur de tes mains. Le mauvais timing. L’incommunicabilité. Les rendez-vous manqués, peut-être, si j’en crois à ce que l’on m’a dit des soirs de beuverie.

Au fond, même si on s’est à peine connus, et que la bière lavait toujours nos conversations au lendemain, tu me manques.

Et si c’est vrai que tu t’intéressais à moi beaucoup plus que je ne voulais le croire, que tu attendais plus de patience et de présence de ma part, je voudrais que tu acceptes mes excuses. Des excuses exagérées peut-être, qui arrivent trop tard, quand tu es sûrement ailleurs et que tu n’as rien à faire des doléances d’une fille too much qui s’imagine t’émouvoir avec son trop-plein de mots. Mais si mon honnêteté t’a un peu rebuté, si elle t’a empêché de nous faire « cliquer », parce que je parlais tellement que ça en devenait turn-off, de mon ex en plus, j’ai quand même encore foi en elle pour espérer un peu plus que les autres fois. Les mots, ça reste du texte, c’est abstrait, ça ne veut peut-être rien dire, mais pour moi, ils pèsent. Et je ne sais plus quoi faire pour combler le vide qui pèse si lourd au creux du ventre.

Je voudrais tellement que tu me parles. Le silence est de plomb, et j’ai tellement envie de revenir en arrière, de retirer mes paroles, de me crouler en toi jusqu’à l’oubli complet. Je laisse tomber l’orgueil comme un vieux vêtement sur le parquet. Je laisse tomber ce que j’ai bien pu dire aux autres.

Je te regarde, et c’est l’inconfort que je vois. Le malheur. La colère, sourde, malsaine. Celle qui reste longtemps, le couteau au creux des yeux. Et les regards que tu évites, et les allusions que tu ignores. Et le gouffre qui se creuse, et toi qui s’éloigne.

Il est trop tard. J’aurais voulu savoir que tu voulais plus. Que tu t’intéressais à moi comme femme, et non comment dévidoir d’hormones à embrasser à temps perdu. Que tu m’écrivais des petites phrases drôles, souvent peu pertinentes, pour m’incorporer un peu dans ton quotidien. Que l’engagement, ça t’aurait sûrement plus intéressé que ça, mais que le rôle du pansement post-rupture, ça ne te disait rien. J’aurais voulu savoir, et les choses auraient peut-être tourné différemment, pas au vinaigre et à la rancœur en tout cas.

Il est trop tard. Tu m’évites, me méprise, et je te vois de moins en moins dans l’étalement statique des jours. Tu ne penses plus à ce qui s’est passé, me fuis par habitude, peut-être, ou pour les raisons qui sont les tiennes et que je n’ai toujours pas comprises. Tu as oublié, tu penses à autre chose, tu as peut-être quelqu’un, la fille rouge de l’autre soir, et je ne te convaincrai pas de sitôt de m’accorder une seconde chance.

Mais l’insomnie a de ses lubies, et je n’ai pas encore appris jusqu’où pousser ma luck.

Je ne sais pas si tu sais à quel point je t’estime encore, malgré tout, mon opportunisme, ta rancune, nos différends.

Je ne sais pas si tu comprends l’importance de mon sentiment d’impuissance et la douleur de devoir subir ton silence.

Ma gorge est sèche, mes yeux aussi. Mais j’ai le poids du monde en moi, et tout me revient toujours en tête, des bribes cinématographiques de moments partagés dans le secret d’un entre-toit, la sensation indélébile de ta bouche sur mon épaule.

Explique moi que tout cela cesse. Raconte-moi tes raisons, tes impressions, que je retrouve un peu de sommeil dans le vide de mon lit.

Six mois de silence, et rien n’est mort.

Tu me manques comme tu ne devrais pas me manquer.

Voilà. Je t’ai écrit comme si j’allais ne jamais t’envoyer cette lettre. Parce que, de toute façon, c’est ce que je vais faire. Me taire encore. Sourire pour la forme. Faire la tournée des bars, et feindre le plaisir. L’insouciance. Étouffer le flot de paroles que je te dois. Puis laisser l’hiver atrophier à jamais nos langues gelées, et enterrer toutes ces choses que nous ne sommes pas dites sous la terre glacée de janvier.

Aucun commentaire: