dimanche 27 décembre 2009

« Une femme sans parfum est une femme sans avenir. » Coco Chanel


J'ai une sensibilité peut-être trop grande aux odeurs, aux parfums, aux souvenirs olfactifs. D'où cette histoire de crème aux mûres dont j'enduisais mes mains seulement le mercredi matin du printemps 2009 ou à tout autre moment où B. et moi devions nous rencontrer, et que je ne peux (ou, plutôt, ne veux) plus sentir aujourd'hui de peur d'abîmer le souvenir. C'est idiot, je sais. Mais c'est dans les moments de nostalgie les plus creux que j'y retourne, que je débouche la petite bouteille toute salie par les trop nombreuses semaines passées dans le fond de mon sac d'école dont le gros tissu noir tache la tranche de mes livres, que je la porte à mes narines et que je respire l'odeur tant de fois impregnée sur la peau de mes mains ; des images me reviennent aussitôt, toujours différentes, toujours en lien avec B. Parfois c'est de la musique de Bach, de Schubert ou de John Cage ; parfois, c'est une anecdote plus ou moins intéressante qu'il racontait ; parfois, c'est son sourire qu'il m'offrait, lorsque nous étions seuls, un petit sourire discret et timide qui rendait ses yeux brillants. Et c'est complètement ridicule à quel point je me faisais un point d'honneur de mettre la crème chaque fois que je le voyais ou que je pensais le croiser, le rencontrer par hasard (au concert, dans les corridors, peu importe...)

Je dis aux gens que c'était une expérience que j'essayais pour le plaisir, voir si je pouvais vraiment coller le souvenir d'une personne à une odeur. Comme si je me prenais pour Pavlov ou l'un de ses chiens. J'ai beaucoup réfléchi à ce petit geste bien idiot et inutile, au fond. Je crois que c'était pour qu'il m'associe à une odeur, celle des mûres sauvages ; que, si l'autre arrive un jour en lui disant qu'elle a acheté une crème à mains - celle des mûres sauvages de Dans un Jardin - qu'il sursaute parce que c'est mon image qui est la salive du chien déclenchée par la cloche, la crème ; pour m'imprégner le plus sensoriellement - sensuellement ? - possible en lui, en passant par l'odeur. Sensuellement. Outre le toucher, l'odeur est à mon avis le sens le plus sensuel, celui qui évoque et déclenche le plus de réactions ou d'émotions, celui qui trouble et qui parle, celui qui décide si l'on aime ou non une personne (sans parler ici des phéromones). J'ai eu une professeure de français au secondaire - dame âgée très sage et élégante - qui disait que les femmes « s'habillent pour les femmes mais se parfument pour les hommes. » J'avais beau penser à Benjamin quand je m'habillais le mercredi matin, choisir mes vêtements les plus beaux et coiffer mes cheveux le plus joliment possible, il fallait que je sente bon et ce, totalement pour lui.

Il est vrai, je le répète, que je suis une fanatique des odeurs. J'adore ce qui sent bon ; les gens dont j'aime l'odeur me sont plus sympathiques à première vue. J'y suis très sensible ; ma mémoire olfactive est très développée. Il m'arrive très souvent de rencontrer quelqu'un et d'être troublée parce que son parfum, son déodorant ou son détergeant est le même que celui d'une autre de mes connaissances. Je suis une senteuse compulsive. Lorsque je trouve un morceau de tissu qui sent bon, je le renifle jusqu'à ce que les molécules de parfum se soient toutes envolées. Je me rappelle d'une fois - il n'y a pas longtemps, en octobre dernier je crois - où j'avais visité une amie, si je peux parler ainsi, dont j'aime l'odeur comme j'aime environ tout de cette personne. Je m'étais assise sur une chaise où l'un de ses vestons reposait sur le dossier. J'avais enlevé mon foulard et mon manteau, et mon foulard était tombé dans mon dos. Quand j'étais repartie, je l'avais remis et, en marchant vers l'université, j'avais réalisé que des traces de son parfum étaient demeurés sur l'étoffe noire. Toute la journée, je l'avais respirée ; je crois même que j'avais dormi avec l'écharpe (mais ça, c'est ma folie.) !

J'adore les odeurs ! Les gens qui n'ont pas d'odeur ou dont l'odeur est faible, infime me semblent toujours à première vue des gens fades. Surtout les femmes. Car les hommes ont cette odeur de déodorant, d'après-rasage et de détergeant à laver, mélangée à un grain de peau masculin qui fait qu'un homme sans parfum n'est pas, selon la citation de Coco Chanel, un homme sans avenir. Mais une femme qui a une odeur caractéristique et un parfum qui lui sied bien est une femme qui a incidemment du caractère.

Ou peut-être est-ce ma trop grande sensibilité aux odeurs qui me fait dire ça. Car je suis complètement en train de discriminer les femmes qui n'ont pas d'odeur. Et puis tant pis ! je deviens une discriminatrice sans scrupule depuis quelques temps !

J'ai travaillé toute la journeé ; j'ai rencontré pleins d'odeur de la part des clients qui venaient acheter du café ou de la nourriture trop chère pour sa fraîcheur. Quelqu'un portait l'odeur de la crème aux mûres ; peut-être est-ce pour ça que je tiens à faire une entrée sur les odeurs ? Je ne sais pas.

J'ai eu envie de le voir aujourd'hui. Je l'imaginais devant la vitrine à sandwichs et qui me souriait, surpris de me trouver là. Pleine de ridicule, oh que oui ! Ahh, serais-je un jour complètement guérie des hommes que j'ai aimés sans être poussée par un nouvel amour ?

Je suis malade. Je sens le Vicks dans ma chambre et sous mes narines, et ça sent bon !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

On n'oublie jamais ceux que l'on a aimés sincèrement, le coeur à vif...

Ils restent en nous, deviennent de petites pièces au fond de la tête, qu'on visite à l'occasion et avec plaisir, ou encore qu'on évite, de peur de s'y perdre et de s'y blesser; mes anciens amours, en tout cas, me sont très doux...

J'aime beaucoup ce billet, ma chère; je me suis justement retrouvée tout récemment, et par hasard, avec un nouveau parfum. Il est léger, floral, mais tout de même mature. Apparemment, je rayonne quand je le porte, au point de devenir un aimant à calins et baisers! Même pour mon mignon quasi anosmique, l'effet reste tout aussi puissant.

La puissance des odeurs est effectivement indéniable. D'ailleurs, je remarque que bien souvent, ce qu'il y a de plus doux au souvenir des anciennes flammes, c'est le parfum propre
à chacun de ces hommmes; tous avec une odeur différente, cependant toute aussi captivante. Un calibrage changeant de lessive, de musc, de produits d'hygiène, avec des petites touches personnelles : l'un a toujours, omniprésente, une odeur de café, l'autre c'est la peinture qui lui collait à la peau... En écrivant, tous ces arômes me reviennent et je me sens devenir une grosse guimauve!

J'adore tes textes, ma belle; je ne connais rien de plus inspirant! (Sauf peut-être du Beauvoir. Mais tu me le pardonneras, j'en suis sûre ;).)

-FK