dimanche 20 mars 2011

Abstraction dansée

Un texte écrit à partir d'un danse improvisée par une troupe, dans un cours de création littéraire.

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Il te suffisait de fermer les yeux pour que tout soit aboli entre nous. Le sourire, les secondes en trop ; le léger sursaut au creux du ventre, tes doigts frémissant contre ta joue ; le désir incongru. Un monde s’effondrait l’instant de clore tes paupières. Pour eux, pour la forme… Tu sais, pour cet imperceptible mouvement de sourcils que l’on appelle la morale.


C’était absurde, toi seul te leurrais, y croyais. ; et encore, ta foi était bien mince contre nos doigts qui, d’instinct, se cherchaient dans le noir.

Il nous était arrivé quelques fois de croire en notre ultime départ. De se croire capable de vivre l’un sans l’autre, dépourvu de l’angoisse du mouvement, de la fêlure, de l’irrémédiable faille entre nos corps transis.

Et pourtant…

Un cri déchirait l’ardeur, immobilisait nos ombres plaqués sur le mur. Le soupir hachuré d’une soirée qui nous sépare. L’angoisse de janvier, de la mi-mai qui nous ramène à la vie. Un inexplicable besoin d’air frais, s’éloigner et disparaître dans le rideau de neige ; puis il faut revenir, ranimer la braise de nos regards, ces lumières qui naissent et meurent par intermittence.

Et à nouveau, ces désirs s’agitent tout au bas de l’escalier jaune. L’ambition qui vole en fumée et ces doigts qui s’animent subrepticement pour ne pas se toucher, s’agripper, craquer sous la force de nos étreintes proscrites.

Tu replongeais les soirs d’automne où plus rien n’avait de sens que ces feuilles froissées s’amoncelant au pied de la porte. Un souvenir de ta vie pendait à ton doigt, cette vie que tu menais sans moi, et j’avais parfois envie de l’arracher, de le déchirer de mes dents polies.

Je souriais, la mâchoire crispée, à la place.

Il y avait toujours cette peur de l’Autre, du cri qui propulse les âmes au fond de l’abîme.

Qu’y avait-il ? Rien, en réalité ; et pourtant c’était tout. Un sourire si longtemps tenu qu’il en est demeuré figé ; un œil soudainement qui s’enflamme, s’irradie et se révèle totalement, trop pour tout le reste.

Longtemps – pour tout le temps où je croyais t’avoir perdu – je t’avais contemplé derrière une vitre. Un verre épais, à peine brouillé par les intempéries et le soleil de l’été. La vitre avait reçu mes coups, mes griffures, mes ongles qui lacéraient ton reflet ; mais la fenêtre ne bougeait à peine, comment pouvais-je espérer la briser ? Je ne pouvais plus que valser avec les fragments gigognes que tu m’avais laissés en effleurant à peine mes doigts de tes paumes rebutées.

Alors je dansais, en attendant les colchiques ou les lilas, ou les autres fleurs dont parlait Apollinaire, ou Aragon, peut-être, quand il écrivait pour Elsa. Je ne sais plus.

Tu as lu ces poètes ? Non ? Il faudra y remédier…

Tu avais souri, et tes yeux étaient tristes. Comme s’ils lisaient dans le fil du temps qui s’était, pour quelques mois, emmêlé.

Puis, ce fut le blanc. Tout blanc. Avec une petite tache rouge parfois pour dissoudre l’harmonie du néant. Et malgré toute cette pureté, je ne pouvais que me rappeler du mauve. Le mauve de la passion, le mauve de la violence et du deuil interminable. Le mauve des mûres sauvages que nous avions partagées, une nuit. Une nuit de trop, peut-être, où le bout des doigts tachait nos peaux de violet profond et que l’odeur puissante nous montait à la tête.

1 commentaire:

Mamz'elle J a dit…

Si je pouvais cocher le «Passionnant» des centaines de fois, je le ferais.
Grandiose. J'adore te lire mon amie. xxx