vendredi 1 octobre 2010

À la dérive.

C'est l'automne, je ne sais plus où j'en suis. 

La vie joue avec moi, avec mes émois ; elle me projette dans une voie houleuse que la raison me pousse à déserter. 

Je me brise contre un beau regard brun qui se colle au mien, qui s'ancre dans le mien ; un regard qui rit constamment sans jamais se désister, sans jamais s'échapper ; un regard qui a lu tout Proust, qui partage mes conceptions esthétiques, qui joue avec les relents de romantisme exalté que j'ai laissé tomber au coin de mes yeux fardés. 

Il pleut tout le temps, je m'emprisonne avec mes pensées dans une tour d'ivoire théorique. 

Hier, j'ai marché six kilomètres pour faire de l'ordre avec mes idées. Six kilomètres, ma robe pour aller au concert et ce qu'il reste de cette vilaine grippe qui obstrue ma voix. Six kilomètres, et je ne sais toujours pas où j'en suis par rapport à toi, à nous. 

Il se passe quelque chose qui me draine à toi. Nos yeux lumineux qui ont peine à dessouder, et tes épaules orientées vers mon impuissance cimentée. Ton rire d'enfant égaré et tes mots qui viennent glaner mon sourire pour redorer ton orgueil de coq charmé. 

Il se passe quelque chose, et tu sembles au courant. Plus que moi, en fait ; tu en fais moins de cas, je sais. Négation, protection ou lucidité ; mais il se passe quelque chose que tu fais durer et dans lequel je me complais. 

Malgré le reflet aveuglant du morceau d'or de ton annulaire gauche. Vanité de jeune fille en fleurs. 

Tu joues peut-être. Plaisir de plaire, d'être charmé ; frisson d'excitation pour le regard que tu n'attrapes pas toujours. On se lance une balle indécise qui meuble le flirt et le rêve qui s'étirent. On s'apprécie, et on aime faire durer les regards, les histoires. Tu t'amuses, tu me jauges, tu t'enivres en faisant fi des risques sous-jacents à tout ça.

Et tu oublies que le jeu pourrait devenir dangereux. 

Pour moi, il l'est. Je m'amuse avec un feu trop sauvage pour ma prudence de gamine. Et toi, tu m'observes ; un peu curieux pour mes jongleries maladroites. Les chances que tu perdes pied, que tu échappes au contrôle sont moindres ; certes, je continue. Je provoque tes yeux, réclame les sourires qui te ramènent quinze ans en arrière. Je laisse tomber la raison dans les flaques de pluie qui criblent la rue déserte, et je reviens te parler, te saluer, te dire n'importe quoi, au fond ; car dans toutes ces paroles futiles et inepties secondaires, à travers cette cohorte d'inconnus qui s'aveuglent de conventions, seuls les regards parlent.

Les regards, et les coïncidences. Nos goûts, nos intérêts communs. Nos affinités, notre complicité. 

Et le fait que la vie semble déployer d'incommensurables efforts pour favoriser nos ébats impressionnistes.

Tout concourt à nous éloigner l'un de l'autre, et pourtant tu demeures, tu te graves en moi de manière quasi-permanente. Tu m'étonnes, me surprends, traces avec une lame brûlante tes initiales au creux de mon ventre. Tu t'immisces dans des sphères existentielles que j'avais clairement définies et séparées ; tu brouilles mes cartes et rejoins chacune de mes pensées. Tu te mires dans le miroir de ma vie à t'y inscrire en filigrane. Tu étales tes sourires jusqu'à la dernière lettre de mes lectures scolaires. Tu épouses mes mouvements de ta présence implicite, et je ne sais plus comment me défaire de cette parure vaine. 

Je m'abîme en ton regard brillant, et y lis toute l'estime que tu me portes, tout l'art et toute la musique que tu aimes. Je m'abîme en ton regard brillant, et y perçois la séquence cinématographique de tous ces moments passés ensemble. Je m'abîme en ton regard et me fracasse contre le brun qui sourit et m'empoisonne. 

Octobre. Bientôt novembre. Je ne sais pas où tout ça s'en va, où je me propulse avec cet élan maladif qui est le mien. Cet élan de jeune romantique impuissante qui se mord les mains et qui tait ses envies charnelles. 

Octobre, les yeux comblés et les mains vides. Deux mois et quelques jours pour saisir ce que j'attends de tout ça.

Et ça serait déjà plus facile si tu n'avais pas lu Proust au complet, et aimé ça ! 

La vie : + 3
Isabelle : 0

Et je vogue à la dérive sur un prélude tragique de Chopin.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La vie est une sale agace.

Mamz'elle J a dit…

...oui, la vie l'est. Mais LUI, lui.. il l'est encore davantage.