dimanche 18 juillet 2010

Fragment littéraire

J'ai construit un château avec des mots et des images où j'ai enfermé son visage de lumière. Fortesse résistante aux violents assauts du monde, à l'implacable raz-de-marrée de la réalité qui engloutit le reste. J'ai construit ce refuge pour elle, par refus de la laideur, par répulsion du quotidien, pour échapper à l'étouffement et à l'abandon. Et nous y allons ; nous nous y enfouissons pour discuter, pour partager des impressions vagues, de confidences masquées, des secrets abusés. Nous bâtissons des paroles, des rêves de toiles de Monet et d'esquisses de Cocteau. Château à part du monde pour y faire fleurir cet amour quasi-familial et autarcique entre des murs de lumière et de beauté.

Jardin indiscipliné de cerisiers en fleur, d'arbres Ming en quartz rose, de bonzaïs sauvages où nous prenons le thé l'après-midi et du vin rouge le soir. Souffles de paroles et de rires ininterrompus par l'heure, par les autres ; elle reste avec moi, toujours à mes côtés, et son sourire soutient mes nuits d'insomnie, mes phobies de médiocrité. Elle m'apprend la vie dans ce jardin, la valse : elle m'enseigne les bons pas, ceux qui me porteront et me fortifieront à l'extérieur, dans ce monde défiant où son départ me plongera.

Mais elle ne partira pas, du moins pas encore ; et elle me sourit lorsque je lui expose mes craintes, mes larmes. Sourire qui attrape la lumière, qui joue avec elle comme un prisme de verre ; toute la beauté du monde nait sur son visage, git en sa personne, et c'est des yeux d'enfant émerveillé que je lève chaque jour sur ses traits. Contact de soie de sa main contre ma joue, baiser chaste sur mon front déférent.

Mon château, j'y cache mes peines de coeur et elle panse mes blessures avec ses douces paroles. Je lui parle de mes histoires en les peignant comme Turner, et elle m'offre les siennes en échange en oubliant les ans. Elle s'affaire parfois sans moi, et je peux ainsi la contempler des heures durant, aspirer sa beauté d'un regard attentif, recueillir son sourire tandis qu'elle parle au téléphone, lit un roman ou fait cuire un gâteau.

Et puis le soir, avant de m'endormir, je souhaite ardemment que ce château ne soit pas le fruit onirique d'une imagination sans borne, sans issue.

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