vendredi 17 septembre 2010

Doux-amer.

Savoir qu'on mérite mieux, et s'y relancer avec fougue chaque fois ; toujours, l'implacable solitude du retour à la maison. La crème aux mûres sur les mains, les chants d'opéra pleins la tête, ses yeux gorgés de petites veinules comme s'il était trop fatigué ou malade. Et moi qui marche sous la pluie dans des souliers mouillés en espérant peut-être, qu'un jour, il me ramènera.

Je voudrais tout arrêter. Oublier ses incursions dans mes conversations insipides. Ses regards velcros qui ont peine à se détacher des miens dans une discussion quelconque. Tout oublier, lui et sa petite classe de jeune homme qui a vieilli trop vite, lui et sa voix étrange, lui et sa culture à laquelle il m'arrive de m'abreuver quand on réussit à parler pour vrai.

Crever les bulles d'un doigt pointu, et courir pleurer dans les bras d'une mère d'occasion qui va à l'opéra la même journée que moi. Me retirer pour de bon de sa vie et le laisser scléroser dans le confort facile et les jeux d'enfants. Fuir, et qu'il m'oublie pour ne repenser à moi qu'épisodiquement, pour rien, au fond, parce que j'ai peut-être fait une différence en lui. Laissé une rose au creux de son être ; peut-être poussera-t-elle un jour ?

Mais je reviens. Écrase les cigarettes amères que je fume quand il disparaît, et courbe l'échine. L'oeil qui cherche le sien à défaut de sa main. Politesse gênée, guindée. Impuissance et envie de se caler sous terre, d'y creuser ma tombe en attendant qu'il me délivre du fardeau de l'assassinat de ma jeunesse.

Je me relance dans cette drôle d'histoire dont je n'avais conservé que les bonheurs, les joies de sourires en coin et de bulles perlées. Maintenant, ce sont les douleurs de la solitude et de l'impossibilité dont je me souviens, l'estomac tordu d'impuissance et moi qui fais les cent pas dans mon salon pour arrêter de penser à lui. « On oublie tant de jours de tristesse, mais jamais un matin de tendresse » chante Jean Gabin, et il a peut-être raison.

La jeune fille de secondaire 5 qui tremble parce qu'elle avait peur de ne plus voir son premier amour n'est peut-être pas si morte que ça, malgré que les choses et le contexte aient profondément changé, que l'homme ne soit plus le même et que la réciprocité s'ébauche parfois, en rires et en oeillades. 

J'ai envie d'envoyer tout balader, lui, les canons de Pachelbel et les envies de passer ma main dans ses cheveux, de m'agripper à son dos presque jusqu'à y enfoncer mes ongles, de me griser de la sensation de sa peau contre mes doigts. Envie de le mordre, de l'avaler, de l'expulser, pour ne plus jamais qu'il s'ancre dans mes pensées et mes tristesses. Taire la musique et les cris de nos corps inassouvis l'un de l'autre. Pendre les souvenirs dans une armoire et ne plus jamais s'y référer. 

L'automne de nostalgie, de mort, l'automne, saison romantique par excellence qui a toujours été ma préférée, est doux-amer, cette année. Se couvre de pluie, de froid et des regards de B qui ne me réchauffent jamais. 

Que peut une jolie écharpe de soie toute fragile contre une pluie diluvienne d'octobre, de novembre ? 

Je voudrais en parler, parfois, si ce n'était que du beau regard désapprobateur que la personne à qui je dirais tout me lancerait. Beau regard un peu hautain qui a effrayé mon amie quand j'ai croisé cette grande dame hier, contre toute attente, contre toute pensée. 

Belle et hautaine, un peu froide : je pense que cette femme a trop d'influence sur moi. Je l'aime tellement, plus que lui même, mais son bonheur visible à me voir et me parler arrive à peine à compenser l'impuissance solitaire de mon amour brisé qui revient à la maison sous une pluie froide alors que B dort déjà avec l'autre femme. 

Je voudrais mettre ma vie en arrêt. Geler l'image et reprendre mon souffle, jauger mes chances, les avantages possibles. Analyser les tableaux qui s'offrent à moi et en tirer le meilleur parti. Mettre ma vie sur stop, et reprendre mon souffle. Souffle dans la brume automnal, et exhaler mes sentiments impartis, impuissants dans l'air piquant et regaillardissant de l'automne.

Air doux-amer de l'automne aux amours vains. 

1 commentaire:

Mr point a dit…

j'ai aussi cette envie folle de reprendre mon souffle et boire du verre de la vie sans effort.bonne soirée.