mercredi 14 avril 2010

Boire des gouttelettes de soleil.

Petit retour en arrière cette après-midi. Il faisait beau, je boude les manteaux malgré les bourrasques de vent, et je suis allée faire l'évaluation des projets finaux des étudiants du DI de cette année. Immersion dans le passé, dans le souvenir. Revu quelques anciens professeurs. Jasé avec eux. Rapidement et grossièrement certes ("Bonjour, ça va bien ?" etc.) mais j'étais très contente de les revoir. Ai évalué quelques stands, posé des questions, ri avec les élèves. Je me sentais bien, je me sentais à ma place. J'ai même réussi à passer par-dessus ma gêne et parlé un peu avec mon ancien prof de philo qui me donnait récemment l'impression de me détester. J'étais bien, contente, même si je n'ai pas eu le temps de tout voir les stands et d'aller prendre le thé avec mon ancienne prof de maths (elle m'a dit de lui écrire un courriel, on irait dîner !!) 

Me suis replongée dans le passé, comme on replonge notre tête dans un bain chaud et odorant. Je me suis ré-imprégnée du passé, lumineux et vivifiant. Ré-imprégnée de Benjamin, absent mais toujours présent dans les murs, dans l'atmosphère. Je revivais à travers les collégiens présents ma propre expérience de stands d'intégration, stands où Benjamin s'était promené, s'était amusé. Je me suis ré-imprégnée de Benjamin par une réverbération de mon souvenir, de mon expérience, de mes réminiscences qui émergeaient par elle-même devant ce spectacle connu aux visages différents. Je me suis ré-imprégnée de Benjamin par sa présence forcée dans mon imaginaire. Par ce que j'inventais dans le regard des autres. Par cet espoir vain et hâtif qu'il pouvait venir faire un tour. Je me suis ré-imprégnée de Benjamin. Ai pensé à Benjamin, en ai parlé, l'ai cité. J'ai revu Benjamin en son remplacent pendant qu'il endosse le rôle hypocrite du papa-parfait, son remplacent qui n'était nul autre que son collègue de bureau. Décidément plus médiocre que Benjamin, selon Bernard mon prof de philo. J'étais d'accord avec lui : médiocre surtout parce qu'il entrave mes rencontres avec Benjamin, entrave notre naturel et notre complicité forte. Cette fois, je n'ai pas évité le collègue de Benjamin ; j'ai même souhaité qu'il me remarque, qu'il me replace, qu'il réalise que je ne suis pas amoureuse de Benjamin. Bon, c'est un mensonge, mais un mensonge de protection. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit me concernant : ancienne élève sympathique, tache qui en est amoureuse, inconnue sur laquelle on se tait. Je ne sais pas ce qu'il pense de notre « relation », plutôt épisodique, mais que j'entretiens encore. Benjamin était éminemment présent aujourd'hui. Par moi, par mon regard, par mes constantes allusions mentales à lui. Peut-être. Mais présent aussi parce que j'ai vécu à nouveau cette scène du passé en spectatrice, en resouvenante qui recherche celui qu'elle a aimé. 

Et me voici de retour chez moi, après avoir discuté avec ma prof de maths et celui de philo, à me sentir telle que l'an dernier : pimpante, sympathique, un peu plus intelligente que d'habitude, immergée et imprégnée de Benjamin et de bonheur benjaminesque. Si je ne m'y attarde pas, je réponds d'emblée que je suis étudiante au Cégep en Sciences, lettres et arts, et que je termine ce printemps, et que Benjamin est la personne qui m'est la plus présente en ce moment. Mais c'est un leurre, je suis en pleine fin de session littéraire, Benjamin n'est présent que parce que j'y pense constamment, et ce n'était qu'une petite saucette aux origines. Mon gros orteil trempé dans la piscine. Une lichette sur le glaçage d'un gâteau. Un flashe. Une allusion. 

C'est étrange. Je revis le passé et cherche d'ailleurs à le revivre. Je provoque ce passé qui revit en moi. Je cherche les circonstances des temps meilleurs et les fais durer. Comme un suce longuement un bonbon devenu fade à la recherche de son goût initial. J'ai écrit à B., et il m'a répondu ; je vis dans le perpétuel espoir de le revoir. Un autre cours avec lui. Pourquoi, au fond ? Repousser la fin. Repousser les adieux définitifs. Un jour, il faudra lui dire adieu. À quoi me sert de toujours repousser ces fins ? Approfondir les liens, l'amitié mais rendre la rupture encore plus déchirante. 

Je sais, au fond, pourquoi... C'est parce que j'aimerais bien que ça finisse par marcher. Parce que j'ai l'espoir, petit et presque inconscient, que ça pourrait fonctionner entre nous. Qu'il tombe définitivement amoureux de moi. Qu'il flanche et qu'il suive ses bas-instincts masculins. Qu'il cède à ce flirt innocent vers les abimes du non-retour, là où la peau aura été dénudée, les lèvres scellées, les corps fusionnés, les âmes évaporées. J'ai beau affirmer que je ne veux rien, que seulement l'aimer de loin me suffit, aujourd'hui, je le sais, aujourd'hui je l'affirme, j'ai des désirs et des envies, et je me fous du reste. Aujourd'hui peut-être seulement je le dis. Pour me taire à jamais. Mais je sais que j'ai une terrible et insatisfaisante envie de lui. Envie de sa peau, de son corps ; envie de sa complicité, de son amitié, de son amour même ; envie de ses idées, de ses opinions, de sa culture. Envie de le posséder, qu'il me possède ; envie de le découvrir toujours, sans cesse, sans détours ; envie de m'en saouler, de m'en écoeurer, de me dissoudre en lui ; envie de le connaître sous toutes ses coutures, de mélanger mon parfum à son odeur, de parcourir son corps de mes baisers ; envie qu'il recueille mes larmes, qu'il boive mon rire, qu'il termine mes paroles. J'ai envie de l'aimer, d'exacerber mon amour pour lui jusqu'à l'infini. J'ai envie de devenir sa muse et sa musique. J'ai envie qu'il joue sur moi comme sur un piano. J'ai envie de lui, de l'aimer, qu'il m'aime. Je déplorais récemment que je ne voulais plus de grande passion. C'est vrai, sauf s'il s'agit de lui. C'est lui qui fera tomber ces envies toutes récentes de simplicité, de tranquillité, de calme affectueux que je cherchais chez M., et de sexualité sans émotion, sans attache, sans promesse que je projetais dans mes lubies d'étudiante ennuyée et exténuée. C'est le seul qui me fait désirer et rêver à la grande passion. C'est le seul qui me donne envie d'amour. Qui me donne envie que ce soit compliqué, intense, que ça me coûte. Que ça me brise. Que ça me tue. 

Bon, suffit les épanchements ! J'en ai trop dit, et je réfuterai ces paroles demain, quand je réaliserai à nouveau que B. a une femme et que ça va bien avec elle. 

Changement de sujet : les choses se concrétisent pour mon cours sur Proust. Nous allons nous rencontrer à 7 reprises dans l'été (peut-être même pendant la session d'automne) pour discuter des tomes. Nous ne savons pas encore quelle forme ça va prendre - Catherine et moi souhaitons des rencontres relaxes, style bière et discussion au Temps Perdu, pour être thématique ! Mais bon, on a pas encore abordé la question auprès de Monsieur G. Nous en sommes encore aux paperasses peu agréables, mais j'ai somme toute très hâte ! Sauf que j'ai comme mandat personnel et amical - on me pousse dans le dos pour cela, et je suis certaine que yolaine va me dire la même chose lorsque je lui en parlerai, car je ne l'ai pas vue cet après-midi - de dire quelque chose. De ne pas faire comme aujourd'hui ou à la Nuit de la création, et de laisser Catherine parler, et regarder mon prof avec des grands yeux brillants d'admiration et une langue empêtrée, paralysée par la gêne. Il va falloir que je parle, que j'exprime mon opinion, mes idées, que je fasse des liens moi-même, que je pose des questions, que je partage mes impressions, que je fasse valoir le peu d'intelligence que je dois avoir puisque tout le monde me dément cette stupidité que je sais posséder, que je clame posséder. 

Il faut que je solidifie ma perception de moi-même. Que je crois en mes capacités. Que je prouve, surtout à moi-même en fait, que je suis également une tête qui réfléchit et qui est sensible aux divers éléments de la littérature. Il faut que j'aie confiance !

J'ai hâte d'en parler à Yolaine. J'ai vraiment eu besoin de voir Yolaine aujourd'hui, mais elle déserte son bureau. En ressassant mes impressions du passé tout à l'heure, j'ai ressenti profondément, de manière presque viscérale, l'affection que je lui porte. L'amitié qui m'est indispensable, qui est indissociable des aléas de ma vie sentimentale et intellectuelle. La présence réconfortante et le regard bienveillant. Cette complicité amicale, presque filiale parfois. 

Oui, c'est d'elle dont j'aurai le plus besoin pour bâtir et solidifier une confiance en mes capacités. De moi d'abord, puisque c'est de moi dont il dépend le plus. Mais d'elle, parce qu'elle est peut-être en ce moment plus ma mère que ma propre mère ne l'est. 

La cloche de la fin de session m'harcèle. Examen demain. 2 dissertations à faire, l'une pour lundi, l'autre pour mardi. Exam de litt. française mercredi. Exam de genres litt. jeudi. Ah la la... Vivement la fin !

3 commentaires:

medazerou a dit…

c'est beau ce que tu écris bravo,je reviendrai souvent.
bon weekend

Mamz'elle J a dit…

Oh Wow.. j'ai pleuré en lisant ton article.. rares sont les fois où je l'ai fait! Mais tu me charme par tes mots, Grande Isabelle. J'aimerais avoir autant de passion et de vocabulaire pour exprimer à en vider le sens, toutes les émotions qui m'habitent comme tu le fais. Tu me fascines.. Je m'ennuie de toi.. <3

Jigé a dit…

Salut amie et merci du partage. C’est tout à fait par hasard, au gré de mes explorations des blogs, que j’ai atterri ici.

Super intéressant de te lire, dis donc (et très poétique: "gouttelettes de soleil", "je boude les manteaux...) Bravo donc! (Moi, je suis plutôt philosophique).

Et mamz'elle J a raison: on sent la passionnée de la vie.

Dis, c'est quoi DI?

NOTE. Mon blog parle de la connaissance de soi. Si le coeur t'en dit, tu es bienvenue.