samedi 21 août 2010

Fragment littéraire prise II

J'ai la peau brûlante et cuivrée, de grands yeux de femme-enfant qui brillent dans une salle de classe un peu terne. Je suis celle un peu à droite qui s'embellit de noir et de musique, qui te lance des perches de sourire parfaitement orthodontique, qui te nargue de son visage sans âge, un peu fardé. Je suis celle dont l'allure pose problème, celle qui détonne par son sérieux dans cette marée grouillante de couleurs et de rires, qui exhale des odeurs de mûres sauvages et de caféine insomniaque ; celle qui te parle d'amour en te parlant d'art, qui te caresse en repassant stupidement ta porte ; celle dont la décontraction feinte détonne dans le halo de notre attirance mal appropriée, de nos frissons à demi-cachés.

Je suis celle que tu regardes à la dérobée, l'air de n'y pas toucher. Celle dont tu aimes chaque visite, que tu retiens d'une question quand je me lève pour partir. Celle qui te cherche, celle pour qui tu te découvres sans le vouloir. Je suis la jeune fille des regards et des rêves romantiques qu'on est venu chercher pour secouer ton quotidien comme un pommier qui ne fait tomber aucune pomme. Mon visage est la rive qui a gardé la trace de tes pas hésitants que les vagues n'ont pas lavés ; mon visage t'est offert comme à la pluie bienfaisante un soir de juin trop aride.

Je suis l'ombre diluée de tes idéaux, le reflet fugitif de celle que tu aurais pu aimer. Je suis le sourire ébranlant avec lequel tu te dépêtres en public, le regard qui s'attarde et qui se dévoile silencieusement. Je suis cette larme que tu as peut-être versée, le regret éphémère d'une vie rangée, une pensée qu'on laisse voguer un matin où il fait trop froid pour la retenir.

Et humblement, je reviens un peu troublée. Un peu embarrassée, et pleine d'espoirs.

Je t'offre ma robe noire, celle que tu avais reluquée ou une autre, qu'importe, et les impressions accumulées depuis décembre. Je t'offre mon visage aux traits vieillots, mes cheveux d'or et d'ébène qui hument l'impuissance de mes heures ; mon écharpe de soie un peu froissée pour meubler tes nuits blanches. Je t'offre mon romantisme suranné par lequel tu m'as prise, ma timidité chevrotante qui accompagne tes pas dans un corridor exigu. Je t'offre mes doigts un peu gourds et mes yeux traînards d'amoureuse atavique ; tu écoutes mes os qui craquent en attendant l'extase, et tes mains tombent sur le piano comme pour retenir ta raison.

Tu es celui pour qui je bafoue les règles, et je pulvérise les diktats de mes regards dangereux. Je deviens autre et t'attends au détour d'une rêverie onirique. Profanatrice du langage et de la vertu. Tu es celui pour qui je ne crois plus au bon-sens, à la fidélité, celui des regards entendus et des sourires croqués dans une union craquelée.

Tu es celui que l'été me cache et qui, peut-être, ne me dévoilera plus. Tu es l'ombre voulue de mes insomnies, l'erreur charnelle de ma solitude, mes doigts qui te cherchent sans t'atteindre. Tu te glisses contre ma peau bariolée et ton absence logique empire mon agonie.

Le parfum demeure et tes yeux fugaces ne sont qu'un rêve. Et je crève à petits feux dans des draps épars en cherchant des morceaux périmés de ta voix fluette de gamin qui aurait mal mué. Draps pétris de ton absence. Corps fripé de trop t'attendre.

L'espoir fait vivre, mais comme sur une corde raide.

Aucun commentaire: