dimanche 21 février 2010

« N'allez pas là où le chemin peut mener. Allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace.» - Emerson

Pour une fois, ce soir, je voudrais écrire quelque chose de plus universel que mes déboires affectifs avec M. ou B., que l'exaltation de mon admiration pour Yolaine ou quelque réflexion plus ou moins intéressante sur mon cheminement intellectuel / social / politique (ai-je un cheminement politique, moi la seule fille impolitisée qui s'auto-proclame intellectuelle sans, peut-être, avoir vraiment raison ?) Mais parce que je suis un peu narcissique et beaucoup égocentrique, cela m'est difficile de ne pas sans cesse revenir au petit je-me-moi qui prend toute la place de mes réflexions bidons, "minables" (dit à la yolaine).

Je vais parler... des gens ! Ou, plutôt, de l'insignifiance des gens. Je sens vos regards excédés : encore de l'élitisme, isabelle ? On pensait que tu en avais fini avec ça...

Eh bien non ! Je pense que la plupart des gens ne réfléchissent tout simplement pas ; pas de remise en question, pas de questions tout court ; juste la vie toute-cuite dans le bec telle qu'on nous la propose à Occupation Double et à Shopping TV.

Si tout le monde le fait, pourquoi ne pas le faire ? Si la plupart des gens sont contre la peine de mort, eh bien, pourquoi ne le serais-je pas aussi ? Si tout le monde se fait vacciner pour le H1N1, pourquoi ne le ferais-je pas aussi ? Si tout le monde porte des jeans Guess, pourquoi n'en acheterais-je pas aussi ? Si tout le monde se jette en bas du pont, pourquoi pas moi aussi ?

Et j'ai peine à dire que je vis entourée de moutons sociaux, de petits relativistes bien englués dans leur démocratie pourrie où c'est la masse qui décide, où c'est la masse qui inculque sa stupidité creuse à ses habitants en abrutissant, en brimant la réflexion : mes parents, ma soeur, ils sont tous ainsi. Jamais de remise en question, jamais de réflexion poussée ; de la petite morale facile, le reflet d'une vie plus qu'une vie réelle, réfléchie, choisie.

Combien de temps n'ai-je pas entendu ma mère dire : « C'est beau, isabelle, ces chaussures-là ; c'est full mode, y en a plein d'in magasins, d'in revues ; c'est in au boutte ! »
Quelqu'un peut-il me dire pourquoi le fait qu'il y ait un tel article de mode dans les magasins implique nécéssairement que ce soit beau ?

Ce n'est certes pas le pire, mais c'est très représentatif. Ma mère ne se demande jamais si elle a tord ; elle est certaine d'avoir raison. Elle est toujours certaine d'être dans le bon chemin, d'être parfaite, et ce n'est surtout pas mon beau-père, asservi devant cette femme ingrate et implacable, qui va la contester. Elle a une telle confiance en elle que c'en est répugnant, pénible, et probablement que rien ne la poussera jamais à se remettre en question parce qu'elle atteint directement les critères que la société lui demande, lui montre comme étant le bien et le beau. Sauf qu'elle trouve dur de vieillir ; et moi, je trouve que ça fait dur de la fois attifée de vêtements que ma petite soeur de 18 ans porte avec beauté.

Mes valeurs sont aux antipodes de celles de ma famille, et je dois dire que je trouve ça très difficile. Je me sens souvent perdue, toujours insécure : comment entretenir une confiance en soi solide quand nos bases n'en sont pas ? (quand, aussi, depuis les 10 dernières années, notre mère ne cesse de faire des commentaires désobligeants sur notre poids ? mais cela est une autre question que je n'aborderai pas.)

Peut-on bien commencer dans la vie quand nos parents ne nous ont pour ainsi dire pas inculqué de valeurs puisque celles qu'ils nous offraient ne nous convenaient pas ? Peut-on être quelqu'un de fort, de bien, d'intéressant lorsqu'on est allés piger nos valeurs chez d'autres, chez des amis, des profs, des amoureux ? Peut-on rendre fiers nos parents même si l'on va tout à fait à l'encontre des valeurs qui leur tiennent le plus à coeur ?

J'étudie en Littérature. Je me réfugie dans la réflexion et je refuse de prendre une décision tout simplement parce que le grand nombre y est enclin. Je me bats pour la culture, pour sa survivance, pour sa qualité.

Mes parents n'aiment pas les grandes questions, n'aiment pas lire (sauf ma mère et ses petits romans québécois à mi-chemin entre l'Harlequin et l'auto-fiction). Mon père, dentiste, a choisi sa profession pour gagner de l'argent (!) ; ma mère, dans le style le plus parvenu qui soit, a épousé mon père pour son salaire. Ma soeur, qui étudie au Cégep en sciences de la nature, regarde les métiers qui s'offrent à elle en fonction du salaire qui y est rattaché, du statut social qui vient avec.

J'ai étudié en Sciences, lettres et arts au cégep parce que, 1) je ne savais pas quoi faire vraiment de ma vie et 2) parce que j'ai trop d'intérêts, j'ai une trop grande curiosité intellectuelle ; mon père pense encore que j'ai fait mes sciences natures (comme quoi c'était important pour lui) et ma soeur me trouve beaucoup trop loser. Après deux sessions universitaires, j'en suis encore à expliquer à Papa pourquoi j'ai choisi la littérature, quels métiers me sont possibles avec ça pour n'essuyer que cet air un peu déçu, très confus et ce « En tout cas, e*ti que c'est pas ça que j'aurais fait ! » ou bien « T'aurais pas aimé ça, isabelle, aller en droits ? »

Il ne comprend pas qu'une jeune fille qui a fait ses sciences et qui a terminé le Cégep avec une cote R de 31 (pas magnifique mais assez bien) ait choisi un programme non-contingenté, synonyme pour lui d'un programme d'idiots, de paresseux.

Je suis tannée de frapper le mur de leur incompréhension. Oui, la littérature est ultimement importante, peut-être encore plus aujourd'hui à l'ère où elle est menacée par l'industrie médiatique et les technologies. Oui, c'est par la littérature qu'on touche au plus profond des choses, au coeur de la misère humaine, aux bobos des sociétés sans cesse mouvantes, sans cesse changeantes. C'est par elle qu'on apprend à vivre, à comprendre l'humain dans sa complexité que même la psychologie n'arrive pas à cerner, occupée comme elle est à prouver qu'elle est bel et bien une science.

La littérature touche à tout, réinvente tout et fait progresser les idées et le monde ; rejoignant en ce sens la philosophie et la science, elle est une source jaillissante de théories, d'explications sur l'homme, son milieu, son histoire, son âme. Dans ce siècle perdu, sombre, où l'on a tué Dieu, fuit l'absurde et prouvé la Vie, on retourne aux superstitions, aux morales faciles, au troupeau asservi sous le joug d'un prêtre qui est désormais la masse. On cherche la distraction, on cherche le plaisir ; matérialistes jusqu'au bout des doigts, on ne veut plus réfléchir si cela ne concerne pas la réalité concrète, le progrès médical, le confort individuel. La philosophie, autrefois la discipline la plus prestigieuse, est menacée, précaire, dans ce monde où la réflexion semble être une marginalité, une excentricité. Les gens ne veulent pas réfléchir, n'en ressentent pas le besoin.

Et moi je chiale et déplore cet état social, inhumain. J'étouffe ma désillusion, mon retour d'un âge où je croyais que tout le monde était aussi réflexif que moi, « échantillon de ces êtres qui réfléchissent pour ainsi dire depuis le berceau » (copyright Y.) dans le bureau de yolaine et dans ce petit blog bien chiche en lecteurs, encore plus en commentaires.

Si je décide finalement d'avoir des enfants, je veux leur inculquer ces valeurs qui me sont chères, valeurs de la culture, de la curiosité intellectuelle, de l'éducation, de l'honnêteté, de l'amour, de l'amitié, du prestige intellectuel au dépend de celui matériel. Et j'espérerai ne pas créer des êtres tels que je suis devenue, en négation profonde avec tout ce que l'on m'a appris dans ce cocon familial brisé et pas confortable.

Peut-être un jour m'entendrez-vous dire : « Si j'aurais su l'affaire que j'te parle, tabarnak que chtaurais dit ça ! »

Mais pour l'instant, je m'en tiens à cracher sur la médiocrité en espérant ne pas recevoir le mucus directement sur mes yeux.

Enfin. Je suis tellement jeune. Naïve, idéaliste et entichée des éminences que je côtoie, mais toujours si jeune !

4 commentaires:

Amylie a dit…

Ma chère isa, que de belles réflexions dont tu nous fait part. J'ai lu ton billet en me sentant submergé de la même énergie que tu as mise en l'écrivant, allant même jusqu'à faire battre mon coeur à la chamade. Je comprend ton désarroi face à notre monde, les gens sont suiveux, car ils ont appris à être comme ça. Certaines personnes réussissent à briser se moule de valeurs médiocres que leur famille leur ont enseigné (comme toi), mais pas ce n'est pas tout le monde qui réalise l'absurdité de notre monde.

Je suis certaine que plus tard tu ne parleras pas avec des tabarnak et si avec des "rai"! haha!

Amylie a dit…

et j'ajouterais que toupi et binou sont mes amis :)

marie-pier a dit…

J'aime beaucoup ce texte-là! Je m'y reconnais un peu, étant une déiste dans l'âme, qui a reçu l'enseignement du plus éminent prof de philo, qui m'a fait comprendre de redouter le nivellement par le bas...
Moi aussi, inscrite en philo, j'ai eu droit à l'incompréhension de ma famille, mais au moins j'ai eu droit au support de ma mère, même si elle n'y connait rien. Pour elle, je serai toujours la plus belle, la plus fine et la plus intelligente, quoique je fasse... Et ÇA c'est une valeur que je veux transmette à mes enfants, parce que moi c'est certain que j'en aurai. Peut-être parce que j'ai une bonne relation avec ma mère...
Enfin, je te love! xxx

marie-pier a dit…

Et quand je parle de l'incompréhension de ma famille, je veux SURTOUT parler de l'incompréhension de la société qui, comme tu le mentionnes, semble se foutre allègrement de la réflexion...