mercredi 2 juin 2010

S'engluer dans la crédulité. Plaisir d'ailleurs un peu imbécile.

Je pensais à ça tout en conduisant du boulot à chez moi, dans les bouchons de circulation noyés par et dans la pluie torrentielle qui s'est mise à tomber alors que je terminais mon shift de travail. Bien sûr, une soirée que j'avais une activité organisée avec une amie. Et non hier ou lundi, alors que j'ai passé la soirée sur mon canapé à lire Proust, à écouter J'ai tué ma mère, mon film catharsis, et à faire semblant d'écrire tout en naviguant sur Facebook et sur des forums. Murphy me fait chier. Voilà.

Je pensais, donc, à certaines personnes dont la présence dans nos vies nous devient essentielle. Oui, ces gens qui, du jour au lendemain, atterissent dans nos vies, dans notre coeur, sans vouloir en sortir ; ces gens que l'on croit éternels. Quand on était petits, on pensait que notre meilleur ami allait demeurer le même toute notre vie ; ado, on croyait dur comme fer toujours rester amoureux de notre premier amour, l'épouser, faire des enfants, s'acheter un cottage en banlieue, mini-van et golden-retriever, puis mourir collés-collés comme ces deux vieux à la fin du Titanic ; nos parents qui nous tombent sur les nerfs, qui nous secouent et nous bousculent, on ne réalise jamais qu'ils peuvent être eux aussi de passage, éphémères comme ces collègues de classe que nous ne revoyons jamais après la scolarité, avant que l'un d'eux soit frappé par cette grande fugitive que l'on appelle la mort.

C'est bien naïf de croire cela ; parfois, pourtant, on ne se voit pas dénué d'une personne chère. Personne plus ou moins quelconque, plus ou moins commune, intervenue dans notre vie au moment où nous cherchions une main amie. Une personne autour de laquelle nous avons bâti un bout de vie, un bout de nous. Dont le souvenir est tissé à même notre peau, notre être. Qui nous a poussé à évoluer. Et puis, une fois que nous avons changé, que nous nous sommes rebâtis, solidifiés, on goûte les délices de l'amitié ou de l'amour. Cette réussite à la fois intrapersonnelle et interpersonnelle. 

Cette personne, gravée à même notre coeur, nos gestes, notre vie nous devient indispensable, nous feint d'être éternelle, immortelle ; notre vie n'a de sens qu'en elle, qu'en sa présence dans notre vie. On ne peut se voir couper les ponts, la perdre de vue ; nous savons qu'elle est mortelle, qu'un accident ou le temps peut se décider à nous l'enlever ; mais cette possibilité nous semble tellement irréelle que nous ne préférons ne pas y penser. Ne pas y croire. 

Je ne sais pas quelle partie de nous a tendance à penser cela. Depuis mon secondaire 2, je pense, je sais que l'amour ne dure pas, qu'il finit toujours par s'éteindre ; ainsi, je n'ai jamais prétendu depuis que je serais toujours amoureuse de telle personne. L'amitié aussi : je sais que les aléas de la vie peut nous forcer, sans le vouloir, à arrêter de fréquenter nos amis. Changement de pays, de cercle d'amis, de goûts, de travail, de mentalité, etc. Manque de temps. Manque de points communs outre le passé. Même si je ne veux pas, je sais qu'il n'est pas impossible que je perde mes meilleurs amis de vue. Nos parents, on sait qu'ils vont mourir, on désire parfois couper les ponts, souvent s'en détacher, s'en départir ; leur absence dans notre vie n'est, par défaut, pas éternelle.

Mais qu'en est-il de ces personnes dont j'ai parlé plus haut ? Est-ce notre besoin de bâtir quelque chose de durable autour d'une personne ? Est-ce ce restant de naïveté de l'enfance qui prend le dessus sur notre esprit cartésien et enclin au doute, au réalisme implacable ? Ou est-ce parce que ces rares personnes ont aléatoirement reçu un peu de l'amour inconditionnel qu'il nous est alloué de cracher ? 

Toute cette réflexion circulaire pour finalement dire que je ne vois plus ma vie sans elle. Que seule la mort viendra m'arracher de sa discussion, de son affection. Que je suis incapable de croire que, dans quelques années, je n'aurai plus envie de lui parler, de la visiter, de connaître son avis sur telle ou telle chose. J'aurai beau accumuler les aventures, les amours de passage ; j'aurai beau dénicher le nid idéal avec un joli monsieur aux cheveux foncés et à l'esprit cultivé, un job édifiant et valorisant ; j'aurai beau avoir terminé la construction de ce moi et de cette confiance en soi tellement chevrotante pour le moment ; j'aurai beau être devenue parfaitement adulte, avec tout ce que ça implique, je ne me vois pas couper les ponts, le lien intellectuel qui m'unit à elle. 

Et puis, j'aime voir ça ainsi. Alors je me ferme les yeux et m'enlise dans la crédulité. 

Aucun commentaire: